Quand lutte et séropositivité se font armes du cinéma

Lundi dernier, vous avez pu (re)voir au Cinéphage le film « 120 battements par minutes » de Robin Campillo. Sélection officielle du festival de Cannes, il a remporté quatre prix dont le Grand Prix du Jury et la Queer Palm. Le 2 mars dernier, il était le grand gagnant de la 43ème cérémonie des Césars en remportant 6 statuettes dont celle du meilleur film.

En quelques mots, ce film revient sur le combat mené par le groupe militant Act-UP Paris dans les années 90 pour lutter contre l’indifférence des autorités face au SIDA qui tue depuis une décennie.

Les lauréats ont mis en avant l’importance de parler de cette maladie et de ne pas oublier les premières victimes de cette épidémie qui ont fait face aux préjugés, à l’ignorance ou à l’indifférence.

La rédaction du Kinovore a choisi pour vous quatre films qui ont marqué, interpellé ou fait réfléchir sur ce fléau.

  1. Philadelphia de Jonathan Demme (1993)

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C’est sans aucun doute d’abord à ce film que l’on pense quand on parle du SIDA au cinéma. Pour ceux qui seraient passés à côté, il raconte l’histoire d’Andrew Beckett (Tom Hanks), un jeune avocat homosexuel atteint du SIDA. Associé dans un gros cabinet clairement homophobe, il cache sa sexualité et sa maladie à ses employeurs. Sur le point d’obtenir une promotion, il se voit licencié pour faute professionnelle. Des lésions étant apparues sur son corps peu avant son renvoi, il décide de poursuivre ses anciens employeurs en justice. Il se retrouve cependant confronté au même rejet lors de ses recherches d’avocats. Finalement, Joe Miller (Denzel Washington), avocat afro-américain, accepte de le défendre malgré son apparente homophobie.

Film choc s’il en est, Philadelphia marque sans aucun doute les esprits grâce, entre autres, à la force de son scénario. Le spectateur est confronté, tout comme le personnage principal, aux effets de la maladie. Sur le plan physique dans un premier temps, on assiste aux ravages de la maladie sur le corps de l’acteur : lésions, teint blafard, amaigrissement. Pour l’une des performances les plus emblématiques de sa carrière (qui lui vaudra l’Oscar du meilleur acteur), Tom Hanks n’a pas hésité à perdre de nombreux kilos. Mais c’est essentiellement l’aspect sociétal qui est mis en avant. Là où l’homosexualité est déjà cause de rejet, le SIDA ajoute la crainte de la contamination. Le film nous montre clairement les regards d’horreur et de dégoût de ceux qui croisent la route d’Andrew. Paradoxalement, c’est également ces regards qui provoqueront le choix de Miller de défendre l’affaire car, d’une certaine manière, il est confronté à une discrimination similaire à cause de sa couleur de peau.

Ajoutez à cela la participation de Bruce « the Boss » Springsteen pour la musique originale, et vous avez tous les ingrédients réunis pour un film d’anthologie.

Elvire Detemmerman

  1. Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée (2013)

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L’amaigrissement des acteurs semble être inévitable pour provoquer l’intérêt quand on parle de séropositivité. Vingt ans après le succès de Philadelphia, c’est au tour de Matthew McConaughey et de Jared Leto (également récompensés d’un Oscar, le premier comme meilleur acteur, le second comme meilleur second rôle) de transformer leur corps.

Le film se déroule en 1985 et s’inspire de la véritable histoire de Ron Woodroof. Ce cow-boy Texan homophobe et macho, ayant contracté le virus, refuse le diagnostic des médecins qui ne lui laissent plus que 30 jours à vivre. Dans ses recherches de traitement, il apprend que ce qui était alors appelé « le cancer gay » ne touche pas seulement les homosexuels. Ce sont ses rapports non protégés avec des toxicomanes qui sont la cause de sa maladie.

A l’époque, le traitement AZT est encore au stade de l’essai clinique. Woodroof refuse de prendre le risque de recevoir un placebo et décide de trouver son traitement lui-même. Lors de son voyage au Mexique, un médecin lui fournit un nouveau traitement, plus efficace que l’AZT, mais qui n’est pas approuvé aux USA. Woodroof fonde alors le Dallas Buyers Club, ce qui lui permet ainsi de gagner de l’argent tout en fournissant d’autres séropositifs qui ont perdu toute illusion quant aux traitements officiels.

C’est le combat d’un homme contre des sociétés pharmaceutiques qui voient dans la détresse des patients une opportunité de profits. C’est un combat entre la maladie et un homme bien décidé à vivre. Mais c’est surtout le combat d’un homme contre lui-même. Ron est un homme homophobe rempli de préjugés sur un monde qu’il ne connaît pas. Sauf qu’une fois le diagnostic tombé, les amis de Ron le rejettent. Seul, il va devoir apprendre à connaître ces êtres qui le répugnent tellement et qui prennent pourtant part à son quotidien.

Elvire Detemmerman

  1. Mauvais sang de Leos Carax (1987)

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C’est l’histoire d’une dette et d’un casse pour l’éponger. C’est l’histoire d’un ventriloque orphelin. C’est l’histoire d’une Américaine et de son gorille. C’est une histoire de femmes qui ne mesurent pas leur amour quand les hommes se risquent à le garder pour eux. C’est l’histoire d’une longue nuit et des jours autour d’elle. C’est un poème déguisé en polar où la comète de Halley écrase de chaleur les rues de Paris. Et pendant ce temps, le virus STBO accroit le nombre de ses victimes.

L’art de Carax déploie dans Mauvais sang une expression poétique d’apparence débridée et pourtant construite avec une incroyable rigueur. On ne s’étonnera donc pas de retrouver dans son héros un peu du poète de dix-sept ans. Mention à une photographie dingue qui donne au film en couleur les traits d’un noir et blanc contaminé de rouge. Si la mort semble une voie toute tracée pour ses protagonistes, la vive allure sera de mise jusqu’au bout, quitte à ne laisser d’accompli qu’un brouillon magnifique. Un seul (long) plan pour résumer ça : Alex va de l’avant, court, bondit, bat l’espace de ses poings puis s’arrête net et fait marche arrière pour retrouver Anna qu’il a laissé derrière lui.

Baudouin Bryssinck

  1. The Normal heart de Ryan Murphy (2014) 

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Ce film est avant toute chose l’adaptation d’une pièce de théâtre écrite en 1985 par Larry Kramer, scénariste et militant pour les droits homosexuels. Frustré par le manque de considération de la bureaucratie et de la communauté gay face au fléau qui touche de plus en plus d’homosexuel(le)s, il écrit une pièce coup de gueule. C’est cette œuvre largement autobiographique qu’il adapte en scénario 30 ans plus tard pour Ryan Murphy.

Ce récit nous dépeint le monde de Ned Weeks, un activiste homosexuel de 45 ans (interprété par un Mark Ruffalo époustouflant). Face à l’indifférence des autorités pour cette maladie inconnue dont le nombre de victimes ne cesse de croître, il mobilise, non sans difficultés, l’aide de sa communauté. En effet, la première indication face à l’épidémie étant l’abstinence, ces hommes y voient un retour au placard à une époque où la libération sexuelle fait rage. Cependant la maladie se propage vite et ils n’auront d’autre choix que de se mobiliser pour faire reconnaître au gouvernement qui les ignore la gravité de la situation. Plus qu’une simple lutte entre une minorité et le pouvoir, The Normal Heart touche le spectateur par la force de ses personnages. Si l’histoire d’amour entre Ned et Felix atteint par la maladie (l’interprétation de Matt Boomer lui vaudra un Golden Globes) vous émouvra au plus haut point, les personnages secondaires ont tour à tour leur moment de grâce. Notamment Bruce (Taylor Kitch) lorsqu’il raconte la mort déchirante de son compagnon que les médecins ont refusé d’autopsier, le forçant à l’enterrer clandestinement. Julia Roberts, quant à elle, vous rappellera son rôle d’Erin Brockovitch en incarnant une médecin se battant pour trouver un traitement à ses patients. Ce téléfilm est une petite pépite qui n’a rien à envier aux plus grandes productions cinématographiques.

Elvire Detemmerman

 

 

 

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