Carol de Todd Haynes

Carol de Todd Haynes

Véritable parangon du mélodrame contemporain, Carol, le film de Todd Haynes, propose le récit d’un amour impossible entre deux femmes, Thérèse Belivet (Rooney Mara), jeune et ravissante, et Carol (Cate Blanchett), resplendissante mère et épouse d’un mariage raté.

À l’approche des fêtes de fins d’années, c’est une rencontre d’un grand banal au sein d’un magasin de jouets qui initie la passion interdite entre les deux femmes. Une idylle vénale de l’une qui se laisse facilement séduire par son aînée au milieu d’un cadre hivernal, assez loin de l’enthousiasme festif de Noël.

Stylistiquement, Todd Haynes ne semble rien inventer de nouveau. Le cadre similaire à celui d’un conte de Noël, la période hivernale, l’amour caché, sa lucidité et sa cruauté, le thème musical très implicatif, l’esthétique des lieux clos, sont autant d’éléments qu’Haynes emprunte inévitablement aux films de Douglas Sirk tels que All That Heaven Allows (1956). Heureusement, le réalisateur évite le goût kitsch des couleurs flamboyantes du maître incontesté du genre, pour un grain virant vers la sépia froide et morne (presque verdoyant malgré quelque touches rouges de ‘désir’), à l’image de la relation entre les deux femmes : entre colorée de ferveur et ternie par le poids du secret.

Si Carol se différencie de la filmographie de Sirk, c’est parce qu’il est un trop léger plaidoyer allégorique sur l’émancipation amoureuse entre deux figures féminines qui se détachent du carcan patriarcal du modèle familial dominant des années 1950. L’effort doit néanmoins être souligné lorsque dans notre société contemporaine certains ont encore du mal avec la liberté d’aimer. Malheureusement – ou heureusement – le drame passe avant le message politique, le divertissement ‘mélo’ prévaut sur l’analyse de contenu.

Le spectateur assiste alors aux rebondissements assez niais d’une amourette peu contextualisée, que le jeu d’acteur très convaincant de Cate Blanchett (d’abord en prédatrice sexuelle puis en femme aimante et maternelle) et de Rooney Mara (d’une beauté naturelle qui rend le premier coup de foudre envers une femme de manière sublime par son côté naïf) rehausse admirablement pour évoquer un amour véritable que seuls deux regards silencieux partagent efficacement.

Carol est en effet un film qui atteint un certain paroxysme émotionnel qui dépend moins du scénario que du jeu éloquent des actrices. C’est pourquoi il déçoit quelque peu et figure davantage comme divertissement cathartique que véritable canon du genre. Le récit dispense un rythme assez lent qui nous berce tendrement dans l’état interne des personnages, sans plus qu’une petite larme à l’œil quand il s’agit de se dire au revoir. Les scènes sont toutefois construites avec une grande fluidité et les dialogues, assez simples, sont d’une grande justesse et efficacité.

L’originalité de la structure du récit, qui fait sa force dès le départ, pour nous emmener à bord d’un voyage d’amour impossible et défiant les conventions sociétales établies, finit par tourner en rond à la manière dont Carol écrira dans une lettre à Thérèse : « la boucle est bouclée ». Comme ce petit train électrique acheté et monté par Carol pour sa fille, c’est-à-dire qui tourne insatiablement en rond sur son circuit pour revenir à son point de départ.

S’il faut voir le film, c’est moins pour sa construction que pour la beauté et l’élogieuse performance des deux actrices. Mais peut-être est-ce le constat d’un monde où l’amour différent est impossible qui empêche Haynes d’offrir un mélodrame digne de ceux des années 1950. Si chez Sirk tout est factice, coloré et saturé, c’est parce qu’il y voit le pastiche d’une société qu’il, paradoxalement, encense par la mise-en-scène et dénonce par le sous-texte, là où Todd Haynes opte pour le constat fataliste et pessimiste auxquels renvoient certains de ses choix stylistiques. Vraisemblablement un hommage accordé à la conjoncture actuelle de la société entre l’héritier et son maître, qui vaut le mérite de voir le film, sans l’encenser pour autant. Un film sobre, juste, tout en délicatesse.

Willems Bertrand

Titre : Carol
Réalisation : Todd Haynes
Interprétation : Rooney Mara, Cate Blanchett, Kyle Chandler, Jake Lacy
Genre : Drame / romance
Date de sortie : 13/01/2016