Welcome Home
Audace est mère de liberté
Un soir, Lucas et Bertin décident de ne pas rentrer à la maison. Leurs familles respectives sont devenues des fardeaux. Incompris et surtout fatigués d’être de simples pions dans un cadre de vie qui ne leur correspond plus, les deux adolescents prennent la fuite, en espérant ne jamais revenir. Partis sans un sou et sans bagages, Lucas et Bertin vont alors survivre au jour le jour, en entrant par effraction dans des maisons vidées de leurs habitants, le temps d’une nuit.
Après avoir traité du viol et de l’inceste dans son premier film Elle ne pleure pas, elle chante (2011), Phillipe de Pierpont signe ici une ode à l’audace. Beaucoup plus fougueux et prononcé esthétiquement, le réalisateur réussit à transposer à l’écran la violence qui caractérise les émotions d’une jeunesse désoeuvrée. La vitesse, l’ivresse et les coups de colère sont dépeints avec une justesse aussi bien scénaristique que visuelle.
À bien des égards, Welcome Home pourrait ressembler à un film sur l’adolescence. Mais la complexité des personnages instille une autre donnée beaucoup plus universelle: la prise de risques. En effet, les deux protagonistes ne sont pas que des jeunes hommes en quête de sensations. Leur recherche est ailleurs et elle s’inscrit dans un désir de sortir du carcan familial et sociétal. En devenant des hors-la-loi, Bertin et Lucas vivent pour la première fois la vie à laquelle ils se sentaient destinés. Lors d’une soirée, Lucas lance à son ami : “Jette-toi à l’eau. Sinon, il t’arrivera jamais rien!”. Lourde de sens, cette phrase contient toute l’entreprise du film de Pierpont. Il ne suffit pas d’avoir envie, il faut pouvoir se donner les moyens d’agir. Tant pis si les erreurs s’enchaînent, elles serviront de leçons.
Le réalisateur rend également hommage à la ville de Spa et à ses communes environnantes, une région de la Belgique dont il est originaire. Par moments, on ne peut s’empêcher de penser au Prisoners (2013) de Denis Villeneuve, tant les lieux de tournages, fortement boisés, portent en eux cette densité calme et angoissante. La forêt est représentée comme une sorte de personnage autonome, silencieuse, mais omniprésente. Il devient alors impossible de séparer le caractère volatil des deux garçons et la solitude des grands espaces. Ici, nature et humain ne font presque qu’un, et les possibilités de dissocier les deux s’amenuisent au fur et à mesure du film. Il ne s’agit pas de folie ou de “primitivité”, mais plutôt des effets que peut avoir un environnement sur un état d’esprit. Il y a un peu de Wyatt et Billy ou de Thelma et Louise dans les deux personnages écrits par de Pierpont. Tout comme eux, ils foncent sans s’arrêter, accumulent les histoires et provoquent la réalité.
Le premier soir de leur fuite, les deux garçons se donnent des surnoms. Ils deviendront Bee et Lucky, comme ça, ils n’auront plus “le prénom que leur père leur a donné”. Tuer le père, par les mots, encore une fois. “Be(e) Lucky” était le titre initial du film, avant de devenir Welcome Home. Sois chanceux, donc. Mais pour être chanceux, encore faut-il tenter l’impossible et défier le destin.
Une fois de plus, Phillipe de Pierpont atteste de sa capacité à rendre les sujets bruts moins amers, tout en illustrant la poésie qui réside à l’intérieur des choses, même les plus dérangeantes. Il ne reste plus qu’à souhaiter au réalisateur de continuer sur sa fabuleuse lancée, bien qu’il ne soit pas nécessaire de s’inquiéter davantage car Welcome Home s’annonce déjà comme l’un des nombreux bijoux qui ponctueront sa carrière. Enfin, voir ce film était un cadeau. Merci beaucoup, Monsieur de Pierpont.
Caroline Merlo
Titre: Welcome Home
Réalisation: Phillipe de Pierpont
Interprétation: Arthur Buyssens, Martin Nissen
Genre: Drame
Sortie: 13 janvier 2016