Les Mille et Une Nuits – Volume 2 : Le Désolé

Les Mille et Une Nuits – Volume 2 : Le Désolé

Douce mélancolie

Avec le deuxième volet de sa révision des contes de Schéhérazade, Miguel Gomes continue de poser un regard critique agrémenté d’un sens particulier de l’humour sur l’actualité de son pays. Le réalisateur portugais adopte pourtant davantage une posture plus attendrie que dans le film précédent. En ce sens, le titre est programmatique.

Cette fois, la narratrice nous parle de Simão (Chico Chapas), dit «sans tripes», un meurtrier qui s’adonne à ses addictions; d’une juge et mère (Luísa Cruz) qui dans l’exercice de ces deux fonctions renvoie une première image fataliste et rationnelle; comme d’un chien prénommé « Dixie » (Lucky, chien-acteur espagnol) qui parvient à atténuer le quotidien rude de ses propriétaires changeants.

Quels qu’ils soient, le spectateur éprouve de la peine et de la compassion pour les personnages. Qu’il s’agisse du meurtrier errant qui finit par se rendre à la police ou de la juge austère qui commence à douter de sa cause devant la longue chaîne d’injustice et de malheurs qui se présente devant elle, le spectateur ressent un sentiment de malaise à juger les personnages face à l’effet domino d’un mal plus grand dont ils sont victimes. Gomes visite dans Le Désolé de plus près les foyers permettant au spectateur de prendre conscience d’un impact de crise non seulement global, mais aussi individuel, flottant toujours entre réalisme et merveilleux.

La notion de sacrifice se cristallise comme leitmotiv du deuxième tome de la trilogie gomesienne. Ce fil rouge se traduit plus ou moins explicitement. Le renoncement à tout attachement émotionnel ou matériel de Simão pour retrouver l’état sauvage, le don de virginité de la fille de la juge, ainsi que la donnée animalière illustrent cette thématique transversale. Le réalisateur nuance toutefois ce premier concept d’une once d’espoir. A la métaphore du coq du premier volet suit celle de la vache et de l’olivier. L’animal est rattaché dans de nombreuses civilisations à un aspect maternaliste et renvoie à la fertilité, tandis que l’olivier, arbre millénaire et témoin de notre histoire, est connoté depuis la mythologie grecque comme emblème de longévité et d’espérance.  

La donnée animalière et métaphorique revient une fois de plus sous la forme de Dixie ; l’étymologie du nom symbolisant un caractère sociable, voire trop, capable de s’adapter facilement aux modifications de son entourage Ce compagnon de routes ne change donc pas de maillot uniquement dans une logique accessoire ou comique.

Le portrait que Gomes dresse du monde est nettement plus nuancé et plus complexe qu’il ne le semble en apparence. Dès lors, approche tragique et comique vont toujours de pair. Cette dernière résulte aussi bien d’éléments inattendus du décor _ à l’instar du pédalo surgissant de nulle part au sein du lac et qui casse avec l’image du dur à cuire de Simão _ du choix d’acteurs qui ne répond pas aux attentes du spectateur avec un vieil homme en aventurier solitaire, et surtout des références mixtes du cinéaste. Ainsi, les téléportations de l’homme-grenouille dans la nature, en décalage avec le cadre a priori réaliste, peuvent évoquer le procédé de déplacement dans la série Star Trek des années 60.

Le deuxième long-métrage du triptyque de Gomes se présente beaucoup moins ouvertement mordant que le premier, et plus digeste à certains égards, sans perdre la signature de son auteur ni sa force d’évocation. Il se déploie sous un ton nettement plus mélodramatique tout en redonnant ses lettres de noblesses à cette désignation. Le mélodrame chez Gomes se comprend au premier degré, à savoir, comme un drame populaire, focalisé sur les sentiments des personnages, et constitué de situations invraisemblables.

Mara Kupka

 

Titre : Les Mille et Une Nuits-Volume 2 : Le Désolé

Réalisation : Miguel Gomes

Interprétation : Crista Alfaiate, Chico Chapas, Luísa Cruz, Lucky, João Pedro Bénard, Isabel Muñoz Cardos.

Genre : Drame

Sortie : 25 novembre 2015