Le repas dominical : Le grotesque et le rire comme pansement (Pink Screens 2015)

Le repas dominical

Le grotesque et le rire comme pansement

(Pink Screens 2015)

Sélectionné dans la catégorie « Meilleur court métrage » au festival de Cannes cette année, Le repas dominical, un film d’animation de Céline Devaux, a reçu une acclamation plus que méritée lors de sa projection durant les Pink Screens 2015. Décapant et irrésistible.

Jean est un jeune homosexuel obligé de subir un énième repas familial du dimanche alors qu’il se remet à peine d’une soirée trop arrosée. Il sait qu’une fois arrivé chez ses parents, les conversations tourneront autour de son orientation sexuelle et qu’il devra prendre sur lui, faire semblant de sourire et enfin, boire un peu plus, pour que l’ivresse l’aide à supporter le déroulement de ce très lourd déjeuner en famille.

L’efficacité du Repas dominical demeure dans la beauté de son animation mais surtout dans la prouesse stylistique de son monologue. En effet, l’histoire de Jean tourne très vite au commentaire social sur les us et coutumes affreusement normatives d’une famille petite bourgeoise. L’occasion pour Jean de disséquer la psychologie de chacun des membres de son entourage. Tout y passe : la crise de la quarantaine de la mère, la bêtise des deux tantes célibataires, la morosité du père et la bigoterie de la grand-mère sont épinglés avec une terrifiante justesse.

Pour que cette monstration du microcosme familial soit plausible, Céline Devaux a utilisé la voix-off comme démultiplication du monologue intérieur. En effet, la voix du narrateur (Vincent Macaigne) se dédouble et se perd en écho. Les phrases sont hurlées puis chuchotées, les mots s’éloignent puis se recentrent. Cette cacophonie est en fait la matérialisation sonore des pensées de Jean qui, avec une fluidité absolue, s’accordent avec l’image. L’immersion dans l’esprit du jeune homme est alors totale et on se laisse emporter par le courant du flot de paroles débité, pris dans une sorte d’hypnose hilarante.

L’humour de ce court métrage naît donc de l’impitoyable lucidité de Jean quant au monde qui l’entoure. Un humour souligné par une animation en 2D qui imite parfaitement la spontanéité du geste créatif et la richesse des gravures à l’encre. Chaque image est une représentation du monologue, son pendant dessiné, ce qui permet au spectateur de suivre l’histoire comme la lecture d’un conte illustré.

Le temps de quelques minutes, Le repas dominical replonge le spectateur en enfance mais avec les yeux d’un adulte désabusé. C’est là tout l’intérêt du film : il interpelle en faisant rire et met en lumière les mécanismes aliénants du non-dit et de l’homophobie quotidienne.

Caroline Merlo


Titre: Le repas dominical

Réalisation: Céline Devaux

Interprétation: Vincent Macaigne

Genre: Animation