WEI or Die: Un problème de cinéma

WEI or Die

Un problème de cinéma

Il y a des centaines de nouvelles possibilités que permet internet, WEI or Die en fait partie. Alors que le streaming révolutionne (en bien ou en mal) la consommation de films, WEI or Die est un concept novateur accessible sur le net dont le spectateur peut  profiter gratuitement (lien en bas de critique).

Réalisé par Simon Bouisson pour France Télévision, ce film ne sera pas projeté en salle de cinéma. Et pour cause, il est essentiellement destiné à internet. WEI or Die commence comme un Cluedo : un étudiant est retrouvé par ses camarades noyé aux abords d’une villa où ils fêtaient leur weekend d’intégration. Dans son enquête, la police confisque tout appareil capable d’enregistrer des images – téléphones, appareils photo, caméscopes, etc. C’est ensuite au spectateur de visionner les différents points de vue de ce weekend étalés sur une frise chronologique. Avec son clavier, il peut jongler du caméscope de Leila à l’appareil photo de Louis en passant par les caméras de surveillance ou par un drone survolant les lieux. L’expérience est étrange, car WEI or Die propose au spectateur de monter sa propre version du film. Chaque visionnement est unique. En quarante-cinq minutes, il ne peut pas consulter les deux heures et demie de vidéos disponibles – à moins de regarder tout à nouveau.

WEI or Die est avant tout un problème : cette nouvelle forme questionne la place des images dans notre société, et plus précisément celle du cinéma. Il est clair que le voyeurisme y prend une place importante, le fait de pouvoir passer d’une vidéo à l’autre donne une certaine ubiquité au spectateur, qui peut alors voir le même événement de plusieurs points de vue ou au contraire sortir de celui-ci et se rendre dans un autre lieu qui l’intéresse plus. De la piste de danse à la chambre à coucher de deux étudiants, l’œil se balade dans cette soirée comme sur autant d’écrans de notre quotidien. Mais ce n’est pas là quelque chose de nouveau : déjà en 1901, Ferdinand Zecca réalisait un film où le spectateur pouvait observer par le trou d’une serrure l’intérieur de plusieurs chambres d’hôtel. Le cinéma, dès lors qu’il cadre une partie du réel et qu’il enferme les personnages dans un récit inaccessible, est voyeuriste. De même, l’intérêt ne réside pas dans l’étalage de débauche d’un tel weekend d’intégration car, si les images licencieuses sont légion dans WEI or Die, le spectateur peut toujours s’en extirper en changeant de point de vue

trou de la serrure

Le problème que pose ce film interactif est avant tout d’ordre formel. Tout d’abord, il individualise à l’extrême la vision du film. Il est difficile de voir WEI or Die à plusieurs, car un seul spectateur devra choisir la séquence à regarder. Le moyen d’accès au film étant restreint à internet, il est d’autant plus difficile d’imaginer une projection sur grand écran. Mais je ne pense pas que ce soit là le problème le plus important. L’individualisation a en effet déjà pris le pas sur notre consommation d’images avec des plateformes vidéos comme Youtube. De grandes entreprises réalisent désormais des séries uniquement consultables sur Netflix. Même si elle n’est pas encore une constante majoritaire, la consommation individuelle d’images tend à se généraliser progressivement.

En revanche, WEI or Die ouvre le débat sur la numérisation des images et l’utilisation de celles-ci. Présentée comme une application consultable sur internet, je me questionne quant à la conservation d’un tel film. Alors qu’une bobine ne demande qu’à être entreposée dans une cinémathèque avec des VHS, l’évolution exponentielle des formats et l’extinction de facto de certains supports numériques contribuent à nourrir un questionnement que les archivistes se posent depuis le début de l’ère numérique. Comment conserver de tels objets ? On peut répondre que, pour le DVD, une impression positive du film permet la conservation en cas d’une perte de données. WEI or Die n’est cependant pas un film comme les autres, car il n’a pas une structure unidirectionnelle. De plus, le fournisseur d’accès permettant la consultation du film reste maître de sa distribution.

WEI or Die malgré sa forme originale reste un objet d’art. Même si l’auteur s’efface devant le choix du spectateur, je ne pense pas que ce genre de film puisse atténuer le pouvoir de l’artiste sur son œuvre. Car il est possible pour celui-ci de créer une ligne narrative si intense dans certains plans que le spectateur se sentira forcé de les choisir pour les visionner. Il lui donne ainsi une illusion de liberté, ce qui est déjà l’apanage des plan-séquences ou de l’utilisation de la profondeur de champ, où l’œil du spectateur se balade dans la structure déjà pensée par l’auteur. En cela, le cinéma retourne à son origine : la prestidigitation, où pendant que le magicien attire l’œil sur sa main droite, il subtilise dans sa main gauche la carte du jeu qui l’intéresse.

THIBAULD MENKE

 

Titre : WIE or Die

Réalisation : Simon Bouisson

Interprétation : Noémie Merlant, Thomas Silberstein, Jonathan Demurger

Genre : Drame policier interactif

Date de sortie : 28 octobre 2015 en ligne, http://wei-or-die.nouvelles-ecritures.francetv.fr/