Madame Hyde de Serge Bozon

Serge Bozon creuse son sillon dans le surréalisme social, dont il semble l’un des rares représentants.
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Madame Géquile est professeure de physique-chimie en lycée technologique. Touchée par la foudre dans son atelier, elle se retrouve dotée d’un étrange pouvoir. C’est le pitch du nouveau film de Serge Bozon, quatre ans après Tip-Top, œuvre qui tentait de dessiner le rapport amour-haine de la France et de l’Algérie dans une enquête policière. Isabelle Huppert tient ici le rôle principal, en professeure de banlieue fragilisée par la vie, qui semble rassembler en elle toute l’impuissance et l’incommunicabilité du monde moderne. Le choix d’un tel personnage accablé, parfois minable, crée immédiatement le ton de ce long-métrage qui choisit la forme du détour et du détail qui tue.

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La particularité du film tient dans cette capacité à prendre le contre-pied d’un cinéma social naturaliste hégémonique qui fonctionne souvent de manière mécanique (Entre les murs par exemple). Le pari Bozon propose d’abord d’éviter le réalisme, et de créer une mise en scène de surréalisme, de contraste, de colorimétrie maitrisée. Le contraste ici est toujours poussé à son paroxysme pour mettre en évidence tout un tas de formes ridicules, pour former une sorte de vertige de la relation sociale, et faire éclater l’évidence de la vacuité. Chaque scène comporte en cela un charme spécial et une proposition vue nulle part ailleurs dans le cinéma français, entre autres des scènes d’explications géométriques comme si elles étaient données au spectateur, des effets spéciaux qui paraissent artisanaux et façonnent ainsi un découragement à essayer de dénouer le vrai du faux et surtout le réalisme de l’irréalisme. On peut y voir ainsi l’écriture manuscrite d’Isabelle Huppert sur un tableau de classe, qui semble ici faire jaillir une donnée intime de forte intensité : on voit comment écrirait l’une des plus grandes actrices au monde si elle était professeure. Romain Duris campe lui un proviseur acquis au macronisme et au néo-management qui, a fortiori, jongle avec la vulgarité et le narcissisme dans un rôle passionnant. Enfin, on retrouve un casting de jeunes adultes qui façonne une énergie pince-sans-rire.

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On imagine alors que le style Bozon affectionne par-dessus tout les formes de la fragilité, et choisit de faire diffracter les questions politiques et sentimentales dans des histoires techniques et dans la saturation d’une sorte de fantaisisme/fantastique social qui semble bien plus évocateur. On espère aussi que ce film est le seuil de la filmographie du réalisateur pour transformer son goût de l’intention qui fait mouche au profit d’une narration resserrée d’un écrou ou deux.

 

Anselme de Caterbury

 

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