The Five-Year Engagement : quand je me suis découvert fleur bleue

Longtemps, j’ai eu une aversion instinctive pour la comédie romantique américaine. Niveau romantisme, j’étais un mec, un vrai, et je n’allais pas me laisser attendrir par les pérégrinations amoureuses d’une londonienne dépressive. Quant aux comédies américaines, elles se résumaient pour moi à un pénis dans une tarte aux pommes. C’était avant l’ouragan Kad Merad, OSS117 venait de sortir, bref, le cinéma français se portait bien. Mais un jour, j’ai dû me rendre à l’évidence : ma soif d’humour ne serait plus étanchée par l’humour francophone. Ignorant mes pudeurs de snob européen, j’ai osé regarder Step Brother. Une révélation! Ces deux enfants quarantenaires étaient merveilleusement drôles, et leur combat légitime pour rester dans le cocon familial sans en foutre une m’a instinctivement parlé. Je me suis immédiatement régalé d’autres chefs-d’œuvre comme Pineapple Express, Anchorman : The Legend of Ron Burgundy ou Superbad. 

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J’avais abandonné mes voisins français, pour me consacrer exclusivement à l’humour ricain, et c’était bon!                  Je découvrais des acteurs hilarants comme Will Ferrell, Seth Rogen, Steve Carell, Paul Rudd, Zach Galifianakis, John C. Reilly et sans doute la meilleure série au monde : The Office (si, si, la version américaine). Bien sûr, ce n’était pas un panthéon homogène, et il arrivait à chacun de se compromettre dans un navet affligeant. Mais c’était mon cinéma américain, et je l’aimais d’amour. Il y avait une originalité sans borne, des personnages aussi convaincants qu’attachants, et une liberté de ton qui manquait sérieusement en Europe francophone. Au centre de ce petit monde, Judd Apatow. Sa filmographie étant presque irréprochable, que cela soit comme producteur, réalisateur ou scénariste, j’en fis ma boussole, et j’étais prêt à le suivre jusqu’aux portes de mon enfer personnel. Les comédies romantiques ont une grande place dans sa filmographie, et il en a écrit lui-même plusieurs : The 40-Year-Old-Virgin, Knocked-up, This is 40 ou l’excellente série Love.

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La clef majeure de ses comédies romantiques repose sans doute sur ses personnages. Loin d’être des archétypes caricaturaux, leurs personnalités sont nuancées, tandis que leurs problèmes et contradictions peuvent parler à bon nombre d’entre nous.

Il y a quelques jours, je me bidonnais encore devant The Five Year Engagement, une production Apatow, co-écrite par l’un de ses acteurs fétiches, Jason Segel, qui y partage l’affiche avec Emily Blunt. Le pitch est simple : Tom et Violet se sont rencontré il y a un an, et sont follement amoureux. Tom demande la main de Violet, elle accepte. Mais elle reçoit une offre d’emploi de l’Université du Michigan. Tom quitte alors son boulot de cuisinier pour la suivre, et les projets de mariage sont dès lors continuellement repoussés. Si j’ai choisi ce film plutôt qu’un autre, c’est qu’il est le prototype de la comédie romantique « apatesque ». Une histoire sans grande originalité sublimée par un scénario qui prend son temps, par des gags merveilleux, mais aussi par un portrait sensible de la relation amoureuse. J’ai une affection particulière pour le personnage de Tom, qui dépérit à vue d’œil dans ce bled du Michigan.                                     3

Les moments les plus drôles sont évidemment les crises du couple, et Tom est particulièrement convaincant en dépressif, fan de chasse et de pulls fantaisie. Le film est relativement long pour une comédie (deux heures), et c’est d’ailleurs l’une des autres clefs des comédies romantiques « apatesques ». Le portrait sur une large période permet de renforcer l’empathie pour un couple qui va lentement évoluer sous nos yeux. Sa longue descente aux enfers permet également une bonne série de gags savoureux. Un de mes professeurs en cinéma résumerait sans doute mon attrait pour les comédies romantiques comme un « produit direct de l’individualisme bourgeois post-89 ». Une société où chacun travaille pour son bonheur conjugal, où le couple est présenté comme le salut de l’humanité, et l’enfant comme le messie. Mais dans une bonne comédie romantique comme The Five Year Engagement, les protagonistes amoureux sont si bien tournés en dérision qu’on finit par le remettre en question, notre « individualisme bourgeois post-89 ». Petit bémol tout de même : le concept du mariage comme clef miraculeuse d’une relation est un tout petit peu pompant. Mais l’ensemble tient la route, et même si l’amour vous rebute, vous passerez un bon moment à rire des problèmes auxquels on échappe en restant célibataire.

Gil Blondel