Au revoir là-haut d’Albert Dupontel

« Nous devrions moins parler et plus dessiner. Pour moi, je voudrais me déshabituer absolument de la parole et ne parler qu’en dessins, comme la nature créatrice de toutes les formes », Goethe (cité par Johann Eckermann dans Conversations avec Goethe).


Maroc, novembre 1920. Dans la semi-obscurité d’une gendarmerie française, l’ex-soldat Albert Maillard (Albert Dupontel) raconte l’étrange tournure prise par sa vie ces deux dernières années. Depuis la fin de la guerre, il veille sur son compagnon d’armes, Édouard Péricourt (Nahuel Pérez Biscayart), qui surmonte sa condition de « gueule cassée » dans le silence et l’isolement. Aux lendemains de l’armistice, la plupart des survivants sont les premiers laissés-pour-compte de la patrie. Il ne fait encore bon vivre que pour les riches ou les morts. Édouard et Albert prendront leur revanche sur les uns comme sur les autres dans une opération d’escroquerie pour le moins originale. Mais pourront-ils y trouver leur exutoire ?

Au revoir là-haut, c’est d’abord un roman de Pierre Lemaitre paru en 2013. Lauréat du prix Goncourt, son auteur se fend de deux adaptations successives : une première pour la bande dessinée, une seconde pour le grand écran. Albert Dupontel y assure les rôles de réalisateur, de scénariste-dialoguiste et d’acteur. Un cumul d’autant plus impressionnant au vu du résultat.

Deux éléments peuvent éclairer ce succès. D’abord, jamais le film ne semble embarrassé par son statut d’adaptation, il fonctionne comme pur objet de cinéma. Ensuite, derrière cet état de grâce se cache un incroyable sens de l’équilibre qui traverse l’œuvre dans toutes ses dimensions.

Partons de l’intrigue. Si nous en savons suffisamment peu, elle nous assure ce plaisir simple mais précieux d’être emporté par une histoire aux direction et destination inconnues. Non que sa structure relève du grand rebondissement et autres proies à spoiler : les péripéties s’écoulent sans que nous puissions les anticiper mais sans non plus vraiment nous encourager à le faire. Le scénario nous tient donc doucement en haleine tout en focalisant notre attention sur le hic et nunc de chaque séquence.

Cette discrétion permet dès lors de profiter pleinement de ce qui s’offre au regard, soit un remarquable travail de mise en scène et en images. L’exemple princeps est sans conteste celui des masques d’Édouard. D’hommes ou d’animaux, ces substituts à son visage ravagé servent d’échappatoires oniriques dont profitent Édouard et son entourage comme le film lui-même. Par les masques, Dupontel cultive une forme de magie capable de survivre à sa justification, à la révélation de sa source aussi banale soit-elle. On pense tour à tour à Cocteau ou au plus récent Hugo Cabret de Scorsese. En outre, l’absence de paroles propre à ces séquences renforce sa puissance autant que la pudeur qui s’en dégage.

ARLH Masque

Édouard portant l’une de ses créations. Saluons ici le talent et l’effort de Cécile Kretschmar pour leur conception.

Cette union de la pudeur et de l’impact est une des réussites d’Au revoir là-haut. En témoigne, entre autres, la séquence exemplaire du champ de bataille. Dénuée de toutes « image-choc », elle n’en reste pas moins d’une immersion étouffante et terrible ; la preuve qu’il est tout à fait possible d’atteindre les tripes sans forcément heurter les yeux.

Si parole et image se partagent habilement l’espace, un même équilibre est de mise quant au ton du film. « Drame » et « comédie » cohabitent parce que chaque style est pris en charge par l’un ou l’autre personnage. Ainsi Nahuel Perez Biscayart, d’une émouvante retenue, forme avec Niels Arestrup, le couple tragique de l’histoire. Laurent Lafitte, en parfait détestable, propose un rôle à la fois sordide et burlesque. Son jeu inspire tant l’aversion que la fascination au point de confondre en nous attente et crainte de sa prochaine apparition.

ARLH Lafitte & Arestrup

Niels Arestrup et Laurent Lafitte dans les rôles respectifs de Marcel Péricourt et du Ltn. Pradelle

Un point pourra poser problème au terme d’un premier visionnage. La forte impression que laisse la facture d’Au revoir là-haut tend à reléguer à l’accessoire le propos de fond. Passé l’éblouissement, on pourrait prêter à Dupontel des allures d’illusionniste : nous en mettre plein la vue pour détourner notre attention. J’ai ainsi tiqué sur un dénouement un peu trop sage, qui suggère le renoncement là où un dernier bras d’honneur n’aurait pas juré. D’un autre côté, le film n’est pas dénué de scènes grinçantes – voyez la fête « revancharde » – ; simplement, son engagement ne prend jamais le pas sur l’intention narrative. En somme, les adeptes du pamphlet resteront sur leur faim, ceux de l’évasion y trouveront leur compte. Pour le reste, je vous renvoie à vos propres attentes vis-à-vis du septième art, entre le pur divertissement et l’éveil des consciences.

Quoi que l’on ait recherché ou préféré dans l’œuvre, l’adaptation de Dupontel impose le respect parce que ses choix sont tous défendables au nom d’une cohérence qui se tient de bout en bout. Les parts de légèreté et de drame, de réalisme et de rêve, d’engagement et de divertissement forgent pour le film une vision propre à l’enfance, ou du moins à son pendant fantasmé, dans une tradition qui relierait Méliès à Anderson, pour le seul émerveillement du spectateur.

 

Baudouin Bryssinck

Date de sortie 25/10/2017
Nationalité Française
Réalisation Albert Dupontel
Scénario, dialogues Albert Dupontel

avec la collaboration de Pierre Lemaitre

Adapté du roman Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre (Gallimard, 2013)
Genre Comédie dramatique
Avec (par ordre alphabétique) Niels Arestrup, Héloïse Balster, Émilie Dequenne, Albert Dupontel, Laurent Lafitte, Nahuel Pérez Biscayart, Mélanie Thierry
Durée 117 min.

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