Kingsman : Services Secrets | Analyse 

Kingsman : Services Secrets de Matthew Vaughn (2015)

Un film d’espionnage moderne ou la volonté de relancer le genre.

Kingsman, c’est un mélange de film d’espionnage, des 007, avec des récits plus universels comme la quête initiatique du héros ou encore l’appel de l’aventure. C’est un jeune homme qui part d’une condition difficile dans la vie mais dont le destin hors norme ne demande qu’à s’accomplir. En somme, Eggsy (Taron Egerton) est un jeune garçon issue de la classe populaire, aventureux, sans aptitude extraordinaire apparente, hormis la possession un médaillon appartenant à son défunt père (très important). Sur ce, Eggsy va voir l’aventure littéralement lui tomber dessus, sous la forme d’un agent secret, incarné par Colin Firth (Le Discours d’un Roi). Encensé par la critique et coup de coeur des spectateurs, Kingsman : Service Secrets est le film que vous avez envie de voir et de revoir. Mais pourquoi autant d’engouement autour d’un film que peut annonçait, qu’un petit nombre attendait mais que quantité de gens ont plébiscité ?

Le film reprend les bases et les codes du film d’espionnage mais en incluant une évolution tout autre du personnage. A l’image des figures mythiques et iconique comme James Bond, Kingsman s’applique à créer une antipathie vis à vis de son protagoniste.  C’est vraiment dans le but de s’identifier profondément au héro, au personnage dans ce qu’il a de plus normal et humain. L’idée est de créer une attache supplémentaire et différente au personnage. Par ce biais là on en vient à accepter beaucoup de choses et l’on évolue avec le personnage. Ce processus coïncide beaucoup avec la construction et l’élaboration de l’humour du film. La première partie introduit les enjeux, les personnages, avec des codes et des concepts qu’on attribue, dans l’imaginaire collectif, à un film d’espionnage. Vaughn instaure donc une attente vis à vis de la progression de la scène. Le spectateur tente alors de prévoir le déroulement du récit et des actions avec sa propre expérience filmique. C’est là que le jeu s’enclenche. Le film livre des balises, des repères (on pourrait dire, des clichés du genre) afin de les désamorcer par la suite ou de les retourner. Avoir un contrepoint qui surprend le spectateur et créer la nouveauté, c’est de là que provient également le comique.

Le réalisateur contrebalance constamment avec l’attente du spectateur et joue énormément sur ses capacités de projection et d’imagination, tout en référençant largement son univers. Ce qui nous amène à un autre point : l’aspect personnel de l’auteur. Matthew Vaughn cite, fait référence, mais digère et se réapproprie ces mêmes références. C’est le style qu’il apporte, la patte esthétique, notamment l’utilisation d’objectifs très courte focale (type anamorphique) qui permet une ouverture très large du cadre, donnant l’impression que chaque pièce ressemble à un palace. Les cadres sont très ouverts, les décors deviennent d’un coup plus volumineux, spacieux (ça respire). Cela crée une réelle ambiance et amplifie l’imaginaire du film qui s’associe de façon élégante avec la démarche de Vaughn: celle de faire un film de gentleman, aristocrate, classe plus que chic. Cela va du récit à la playlist musicale des années 80, constituant une formation de multiples références personnelles du réalisateur condensées dans une oeuvre (par exemple, l’ouverture du film sur Money For Nothing de Dire Straits). C’est ce qui rend l’oeuvre atypique mais aussi efficace. Le cadre et l’univers sont définis et clairs, et permettent une immersion rapide et aisé. Tout ce mélange est unifié, le film nous fait admettre pas mal de choses car il reste cohérent avec sa logique de base qu’est le divertissement au sein d’un univers fantaisiste fictionnel. Ce devoir de cohérence n’est donc jamais rompu et maintient le spectateur constamment dans un micro univers, une bulle, pendant plus de 2 heures. On se plonge aisément dans le récit mais on adopte également très facilement la dimension ‘British’. Ce qui fait l’essence de ces films d’espionnage c’est l’identité qui transparaît, notamment britannique. La plongée dans cette culture si particulière est très importante car elle fait partie des repères du spectateur mais également de ce qu’on peut définir comme l’âme du film. C’est cette même identité ‘British’ qui a fait la personnalité des films d’espionnages comme James Bond.

Il s’est installé une forme de fascination pour cette culture et ce style. Cela passe par  l’humour, l’esthétique, l’influence, le patrimoine, jusqu’au casting… Tout ce qui peut définir un pays et son style, mais également l’imaginaire auquel il appartient ou auquel on peut l’appliquer. Tout ce travail gravite autour d’une idée, d’un concept qu’est l’univers et la mythologie moderne britannique (on peut juste citer la fascination pour les costumes et le gentleman « way of life »). Sans pour autant l’inclure dans un quelconque cinéma du réalisme anglais, le film se pose davantage comme un vision fascinante et délirante de ce que pourrait être un film d’espionnage ‘British’ fait autrement. Vaughn cite à de nombreuses reprises cette attitude, en particulier avec cette expression “Maners Maketh Man” (qu’on pourrait traduire par “Les manières définissent le gentleman”). Ce message réapparaît plusieurs fois sous différents formes, notamment dans la première ainsi que la dernière scène de bagarre dans le bar. Mais cela se traduit aussi par une façon de se vêtir, un goût pour les bonnes choses tel qu’un bon Whiskey ou le plaisir d’une phrase cinglante ou d’une citation bien placé, jusqu’à la manière de se comporter en société mais également vis à vis de soi. Harry (Colin Firth) cite par exemple Hemingway “ Il n’y a rien de noble à être supérieur à vos semblables. La vraie noblesse est d’être supérieur à celui que vous avez été auparavant.”

On entre dans quelque chose de délirant qui vient également flirter avec le cinéma d’action américain : choc d’influences et choc des cultures. C’est ça Kingsman : un élément pop culture qui redéfinit, à sa manière ce que “faire un film moderne” signifie, mais également la notion de “divertissement”. Vaughn avait déjà tapé très fort avec son Kick Ass (2010), qui est venu bousculer et redéfinir le style du film du super héros et des comics en révolutionnant les canons du genre par l’apport d’une vision fraîche mais aussi riche d’action, d’humour et de violence assumés. Un mélange détonnant qui est venu bousculer la hiérarchie mais se posait comme une oeuvre à la fois intelligente et divertissante. Un petit coup de poing dans la face dirigé par un artisan qui s’amuse par la réalisation et abat un travail colossale. Ces films regorgent d’idées, de concepts, de trouvailles esthétiques et filmiques, mais aussi scénaristiques. Vaughn tente, expérimente intelligemment et l’on sent transparaître tout le fun que cette équipe a pu tirer d’une expérience pareille, comme un jouet trituré dans tous les sens afin de trouver un recoin caché ou une gadget insoupçonné. Cette idée de conflit se traduit également au sein du récit, de l’histoire. C’est une société britannique secrète et ancienne face à un nouvel ordre mondiale, reconnu de par le monde et dirigé par un américain philantropiste, qui incarne le célèbre “American Dream” du nouveau milliardaire émergent (incarné par Samuel.L.Jackson). Et lorsque qu’il se croisent, la démarche déborde même sur le style, dans les scènes, de façon physique : L’antagoniste, Valentine va jusqu’à servir un McDonald comme repas entre business-man, comme choix de raffinement, qui vient contrebalancer totalement avec le style ‘British’, mais aussi l’attente du spectateur. 

Dans ce sens-là, ce sont les scènes d’actions délirantes qui retiennent l’attention. On sent derrière tout cette énergie un arsenal technique, composé notamment de Phantom camera (utilisé généralement pour la slow motion, par la capture d’une quantité massive d’images à la seconde « aka » environ 200 000) de machinerie, d’’une multitudes de décor et d’installations et d’effets spéciaux en tout genre (ça pète littéralement à la gueule), qui multiplie de façon stupéfiante les points de vues et les angles de caméra. Particulièrement dans ses scènes d’actions/combat, que ce soit du lattage de petits truands londoniens, à la scène surréalistes de pugilat dans l’église, Vaughn crée une joyeuse berezina de violence esthétique, diablement efficace et jubilatoire, tout en déboitant du fanatique chretiens (c’est osé). Ce qui fait la particularité de ces scènes c’est le passage brutal mais efficace d’une esthétique léchée et précise, à un défoulement chronique de violence visuelle dynamique qui dénote instantanément et crée un pont entre les deux dimensions que le spectateur accepte allègrement de traverser. C’est toute une installation et une préparation qui rend les scènes d’actions intenses mais surtout fun à regarder. Certains parleront  » d’esthétisation macabre  » de la violence, on privilégiera plus l’idée d’un défouloire, qui se pose plus en exutoire qu’en appel gratuit de la violence. Rien qu’en consultant les anecdotes de tournage, on comprends la masse de travail impliquée mais aussi la passion qui découle de ce film. L’une des séquences qui a été un pur casse tête s’avère être la scène aquatique lors des premiers tests d’approbation pour sélectionner le prochain Kingsman. Dans les anecdotes du film, parmis les interview que Vaughn, et le casting notamment, a donné durant la campagne de promotion, on retient de façon récurrente différents anecdotes particulièrement marquantes. Comme la construction de décors colossaux, de prises de risques rares sur un tournage avec une plateforme amovible de 11 tonnes qui devait descendre et monter. Autant dire que les acteurs impliqués dans la scène ont tous cité cette séquence comme exemple d’une panique pas seulement jouée mais aussi vécue. Autre exemple, la séquence de saut en parachute, présente toujours dans le processus de sélections (qui a nécessité une cinquantaine de prises et l’emploi d’une multitudes de caméras).

La scène qui va attirer l’attention se déroule au début du film. Dans un banal pub londonien classique, Eggsy et Harry discutent à propos de la vie et de l’avenir du jeune homme, quand un groupe de crapules fait irruption dans le bar et prend le protagoniste à partie. C’est le moment où le personnage de Colin Firth décide de découvrir une partie de sa personnalité d’espion et finit par mettre à l’amende le groupe sans lâcher une goutte de sueur. Tout se construit par le conflit initiale entre les deux personnages, deux images typique que tout semble opposer jusqu’au style vestimentaire. C’est là que le jeu de Vaughn commence. Il amène le spectateur à s’imaginer que ce personnage d’aristocrate gentleman ne présente aucun danger ni aucune dimension supplémentaire. Il trompe le spectateur et amène lentement le volte-face avant qu’il ne se dévoile. En passant par le récit, le cadre, mais surtout l’esthétique soigné, la beauté d’une image et la précision du son qui l’accompagne, dans une démonstration stylistique quasi hypnotisante (on revient à l’idée du passage brutal entre le style calme et esthétique, et l’explosion, la profusion d’éléments de mise en scène dynamique au sein d’une même séquence). On accepte ce changement brutal parce qu’on y est amené de façon crescendo. C’est une montée claire, rythmée qui semble inévitable, tout simplement naturel. On plonge dedans allègrement et on en ressort avec un sourire béat sans avoir vu les deux heures passés.

On peut donc dire qu’un divertissement peut-être synonyme de qualité, que la réflexion n’appartient pas aux contenues élitistes et s’adresse également au plus grand nombre, que l’idée d’un homme peut toucher beaucoup de monde, et que les manières et les petites attentions peuvent rendrent ce monde meilleur.

Ruben Mariage