High-Rise de Ben Wheatley | Offscreen Film Festival

 

En adaptant pour l’écran le roman de science-fiction hyperviolent de J.G. Ballard, High-Rise, le réalisateur anglais Ben Wheatley (Kill List, 2011, A Field in England, 2013) n’allait jamais susciter l’adhésion de tous. Adepte d’un cinéma sans compromis, il livre une œuvre à la forme audacieuse et à l’humour acide.

Le film prend place en 1975, dans le “High-Rise”, un immeuble qui représente le nec plus ultra du confort moderne. Piscines, centres commerciaux et salles de sport côtoient le nouvel appartement de Robert Laing (Tom Hiddleston), jeune et fringant docteur qui emménage au 25ème étage de cette tour : suffisamment haut pour occuper une meilleure position sociale que les habitants des étages inférieurs, et suffisamment bas pour être renvoyé d’un bal costumé -tenue aristocratique XVIIIème siècle oblige- organisé par les plus fortunés qui vivent au-dessus de lui. La vie dans le High-Rise s’organise presque en vase clos, rythmée par des fêtes nocturnes un peu trop alcoolisées et des disputes de voisinages de plus en plus hostiles. Très vite, ce macrocosme de la société moderne se laisse gagner par l’agressivité et la folie ambiante. Le vernis de la civilisation disparaît et l’immeuble se divise en castes sociales dans lesquels les pulsions les plus enfouies éclatent dans un spectacle frénétique de violence et de sexe.

Plutôt que d’observer comment l’immeuble tombe progressivement dans la folie, Ben Wheatley, en collaboration avec la scénariste Amy Jump, fait rapidement basculer ce monde raffiné et bourgeois dans le chaos le plus total. Grâce à un montage dynamique et inventif, il ne faut que quelques minutes au film pour que les tensions entre voisins se transforment en une débauche effrayante. Abrupt, ce basculement risque de laisser plus d’un spectateur sur le carreau, tant par son caractère expéditif que par sa relative absence de justification. Guidés par une logique interne qui dépasse l’entendement, les personnages de High-Rise sont à la fois victimes et responsables de la dégradation de leur condition de vie, mais leurs motivations profondes à participer et à entretenir cet enfer restent mystérieuses. Peut-être est-ce l’architecture du bâtiment, peut-être est-ce la vie moderne ou peut-être est-ce tout simplement un bon vieux conflit de classes? Quelle qu’en soit la cause, ce déclin semble inévitable.

Mis à distance des personnages, et par conséquent peu investi par leur devenir, le spectateur est placé dans une position de voyeur, observant tantôt avec jubilation, tantôt avec embarras les orgies bacchanales et les rafles sanglantes qui se multiplient dans l’immeuble. Ce manque d’affect est peut-être critiquable, mais il n’est certainement pas fortuit : il y a quelque chose éminemment dérangeant derrière ce spectacle cru et dépourvu de compassion, un détachement moral qui mériterait d’être analysé plus en détail.

À défaut d’inspirer de l’empathie, les personnages suscitent donc la fascination. Le film s’anime de leurs personnalités excentriques, traitées avec une ironie mordante. Leurs extravagances ne fonctionneraient cependant pas sans l’excellent casting réuni par Wheatley. Tom Hiddleston, toute en tension retenue et charme discret, signe une performance complexe, mais c’est Luke Evans qui crève le plus l’écran. Il incarne avec grandiloquence un documentariste qui trouve dans le déclin du High-Rise le cadre parfait pour son prochain projet filmique ,et surtout l’opportunité de s’abandonner à ses plus vils penchants.

À l’instar du roman dont il est adapté, High-Rise s’attaque férocement aux préceptes politiques de l’ex-première ministre anglaise, Margaret Thatcher, dont la voix clôture d’ailleurs le film. Si le High-Rise est un microcosme d’une société néo-libérale, son inexorable autodestruction résonne comme la cinglante condamnation d’un système vicié et inhumain. Une satire brutale donc, mais dont les ambitions ne se limitent pas à ce cadre sociohistorique. Ses thèmes d’aliénation, de conflits sociaux et de pulsions freudiennes sont suffisamment universaux que pour transcender l’époque évoquée.

D’un point de vue formel, High-Rise est aussi très imprégné par les années 70, mais l’esthétique générale du film pourrait plutôt être qualifiée de rétro-futuriste, mélangeant la déco kitsch de cette décennie avec une sensibilité plastique plus moderne. Cet univers coloré et profondément original est filmé par le chef opérateur Laurie Rose comme un rêve fiévreux malsain, une hallucination improbable dont on a parfois peine à croire qu’elle existe sur l’écran.

Éprouvant, cynique et provocateur, High-Rise est un film qui ne plaira pas à tout le monde, mais ne laissera personne indifférent.

Adrien Corbeel

Titre : High-Rise

Réalisation : Ben Wheatley

Interprétation : Tom Hiddleston, Sienna Miller, Jeremy Irons, Luke Evan, Elisabeth Moss

Genre : Science-fiction

Date de sortie : 6 juillet 2016