Il racconto dei racconti ou le spectacle émotionnel

Il racconto dei racconti (Tale of Tales) de Matteo Garrone

Ou le spectacle émotionnel

(Panorama du Cinéma Italien au FIFA)

Gagnant trois prix à partir de sept nominations à l’« Italian National Syndicate of Film Journalists » en 2015 (meilleur décor, meilleur costume et meilleur son), Il racconto dei racconti de Matteo Garrone fait parler de lui bien avant sa sortie. Connu surtout grâce à sa participation à la Compétition Officielle de Cannes en 2015, le film a généralement été perçu par la critique comme uniquement plastique.

Dans un univers baroque et fantastique où se croisent rois, reines, sorcières et monstres, trois monarques se retrouvent confrontés à des difficultés bien originales. La reine de Longtrellis (Salma Hayek) est tourmentée par le désir profond d’avoir un enfant et apprend que, pour le voir exaucé, son époux doit combattre un gigantesque animal marin dont elle doit manger le cœur. Le roi de Highhills (Toby Jones) est envoûté par des animaux bizarroïdes notamment une puce qui ne cesse de grossir et à laquelle il accorde plus d’importance qu’à sa propre fille. Quant au roi de Strongcliff (Vincent Cassel), fornicateur libertin, il tombe amoureux d’une fille qui n’est pas ce qu’il croit.

De ces points de départ, les trois histoires évoluent vers des imprévisibilités étonnantes d’une poésie éthérée. Il y est question de jouvence, de sénescence, de fraternité, de xénophobie, de mariage, d’enlèvement, de loyauté, de bravoure, de beauté, d’enchantement, d’ésotérisme, etc.                                                    

Le film de Matteo Garrone est en fait une adaptation libre de trois contes du Pentamerone ou Le conte des Contes, un recueil d’une cinquantaine de contes populaires napolitains publié au dix-septième siècle par Giambattista Basile, précurseur de Perrault et des frères Grimm. Le cinéaste alterne entre les trois histoires en utilisant un montage parallèle tout au long des deux heures, soutenu par un rythme lent et contemplatif.

La plasticité du film n’est pas gratuite, mais plutôt référencée : elle vise la création d’un monde à la fois féérique et alarmant. Le seul problème que l’on pourrait relever serait le rythme de l’alternance des trois histoires et leurs différents points de jonction : à certains moments, une histoire prime sur les deux autres. L’équilibre est rarement atteint dans l’évolution parallèle des trois récits.

En effet, l’image hyperplastique du film matérialise la dualité des contes de Basile, créant cet étonnant mélange du féerique et de l’angoissant, effet souligné davantage par la musique de Maricetta Lombardo. La composition du cadrage et surtout l’emploi des couleurs font penser aux peintres préraphaélites du dix-septième siècle (Il Caravaggio, Salvator Rosa), voire encore plus à Goya. On peut citer le plan avec Stacy Martin, en belle rousse nue dans la forêt. De ces peintures aussi émerge l’obsession de Garrone au corps dans tous ses états : beau, déformé, mort, ridé, écorché, parfait, fantasmagorique, souffrant, même animal.

L’imagerie primitive, organique et poétique de la vision du cinéaste constitue un retour au cinéma primitif, non pas celui naturaliste et réaliste des frères Lumière, mais celui du pur spectacle de Meliès. La scène du combat du roi pour tirer le cœur du monstre, la famille du cirque, les costumes ornementés, les décors napolitains à l’architecture onirique : tout se meut dans le sens du grand spectacle émotionnel qu’est Il racconto dei racconti.

Patrick Tass.

Titre : Il racconto dei racconti

Réalisation : Matteo Garrone

Interprétation : Salma Hayek, Vincent Cassel, Toby Jones, John C. Reilly, Stacy Martin, Alba Rohrwacher

Genre : Conte

Durée : 125 min