Mad Max : Fury Road. Chaos et subversion | analyse

Attention : cet article contient des spoilers.

Mad Max : Fury Road

Who Killed the World ?

L’univers dans lequel Mad Max : Fury Road, le dernier film de George Miller, prend place est régi par les instincts les plus primaux : survivre, boire, tuer, vaincre y sont devenus les maîtres mots. Détruit par la violence des hommes, ce monde post-apocalyptique se réduit à une large étendue désertique sur laquelle chacun défend avec ardeur son territoire, prêt à tout pour protéger ou assouvir ses intérêts. Le chaos est partout. Régie par le droit du plus fort, la civilisation dépeinte par Miller est pourrie et seuls y triomphent ceux prêts à écraser leurs ennemis.

Immortan Joe, l’antagoniste du film, en fait partie. Figure tyrannique, il domine du haut de sa citadelle une population ravagée par d’effroyables conditions de vie, leur distribuant en faible quantité l’eau (ou Aqua-Cola) issue de ses immenses réserves qu’ils se disputent férocement.

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Imposant ses désirs et ses caprices à tous, réduisant en esclavage sexuel de jeunes femmes sélectionnées afin d’assurer la « qualité » de sa descendance, Immortan Joe profite au maximum de la mythologie divine qu’il a construit autour de sa personnalité.

Victime plus que vainqueur, Max Rockatansky, héros des précédents volets, est devenu un être bestial, rendu fou par les vies qu’il n’a pas pu sauver, et prisant comme tant d’autres, sa survie et sa liberté. C’est pourquoi, lorsque son chemin croise celui de Furiosa, la lieutenante d’Immortan Joe, et les « épouses » fugitives de ce dernier, leur rencontre prend rapidement la forme d’une confrontation tendue et violente plutôt que d’un héroïque sauvetage. En toute apparence, la situation demande à Max et aux fugitives de se faire mutuellement confiance, puisqu’ils partagent un ennemi commun en la personne d’Immortan Joe, mais leurs expériences respectives leur ont appris la valeur de la méfiance. Les armes se pointent et les coups de poing fusent parce que les personnages voient inévitablement « l’autre », « l’inconnu » comme un danger. Ils vivent dans un monde sans lois, fait de sang, de folie et de chaos, et leurs actions s’y sont adaptées.

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La tension et les enjeux qui émanent de cette scène tiennent autant des caractéristiques de l’univers construit par Miller que de l’écriture de personnages : ils parlent peu, mais leur individualité profonde est exprimée au travers de chacune de leur action. Poussés dans leurs retranchements, ils ne se permettent plus de laisser leurs principes moraux dicter leur conduite, mais seulement leur instinct de survie, donnant au récit un sentiment d’imprévisibilité et de danger supplémentaire.

La plus grande menace à leur sécurité ne vient cependant pas d’eux, mais de leurs poursuivants : munis d’immenses bolides et armés jusqu’aux dents, la troupe illuminée d’Immortan Joe, les Warboys, croit fermement au Valhalla post-mortem promis par leur chef et chacun d’entre eux est prêt à sacrifier sa vie pour récupérer les « épouses » de celui-ci. Ces personnages qui ont « détruit le monde », sont aussi terrifiants que risibles, comme l’en atteste l’extravagant attirail qui les accompagne, parmi lesquels on peut compter une scène de spectacle mobile depuis laquelle joue un guitariste fou. Leur extrémisme religieux fait d’eux une menace spectaculaire, impressionnante, mais également grotesque.

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Le chaos qui se dégage de Fury Road est paradoxalement le produit de choix cinématographiques précis et complexes. Le montage rapide mais limpide du film parvient à entretenir un sentiment puissant de suspense, tout en apportant au spectateur les informations visuelles nécessaires à la compréhension de scènes d’actions alambiquées, tandis que les plans sont studieusement composés pour souligner les interactions entre les personnages. Cette maîtrise technique permet de mettre en scène ces affrontements désordonnés en assurant que le spectacle de ce marasme humain soit surprenant et excitant. Le contrôle attentif exercé par les créateurs du film se retrouve aussi dans l’attention portée aux détails. De la représentation de Furiosa et de son bras manquant aux relations entre les épouses, le film traite ses personnages principaux avec respect et empathie.

En contraste avec le manque de considération pour la vie dont Immortan Joe fait preuve, le film rend chaque mort importante, réelle et signifiante, permettant à l’émotion d’émerger au centre du chaos. Nux, le warboy maladif, est peut-être le meilleur exemple de cette approche humaniste. Il est le produit de ce que ce monde abîmé a de plus barbare, mais son parcours est rédempteur : il sacrifie sa vie non pas au nom d’un tyran ridicule, mais pour sauver la vie de celles qui sont victimes de cette barbarie.

Au milieu de ce chaos, les personnages font le choix de rejeter les diktats d’un monde barbare. Pour les « épouses », il s’agit de refuser l’exploitation de leur corps, pour Max, de refuser de perdre espoir et pour Furiosa, de refuser de devenir une machine de guerre. Animé du désir de subvertir l’ordre établi, de s’opposer à la domination de Joe et tout ce qu’il représente, le groupe renégat tourne le chaos qui sévit autour d’eux à leur avantage, d’abord pour fuir la Citadelle, et ensuite prendre le pouvoir de celle-ci.

La mort d’Immortan Joe et le succès de leur objectif prennent un aspect symbolique : son cadavre leur apporte la reconnaissance de la foule, mettant fin à son règne de terreur, et leur montée vers les sommets de la citadelle est signe d’un changement profond. Cette fin optimiste et anti-patriarcale envisage un monde qui ne serait plus dirigé par les hommes qui l’ont détruit, mais par ses victimes, prêtes à construire quelque chose de neuf.

Du chaos sanglant d’un monde ravagé, Mad Max : Fury Road fait émerger la possibilité d’un avenir meilleur.

Adrien Corbeel