Les Chevaliers blancs de Joachim Lafosse

Les Chevaliers blancs de Joachim Lafosse

Le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions

Dans les terres arides d’un pays africain (qui ne sera jamais cité), l’ONG Move for Kids s’installe afin d’apporter des soins et une éducation aux jeunes orphelins des villages voisins. Alors que l’équipe de l’ONG, menée par Jacques Arnault (Vincent Lindon), se divise très rapidement sur des questions pratiques et organisationnelles, les habitants des villages voient dans cette mission humanitaire une opportunité pour donner un meilleur avenir à leur progéniture. Pourtant, cette mission s’avèrera être une opération humanitaire bien plus vaste et conséquente qu’il n’y paraît…

C’est ainsi que débute le nouveau film de Joachim Lafosse, Les Chevaliers blancs, dont le titre évocateur relate le fait divers concernant l’ONG l’Arche de Zoé. Celui-ci, ayant longuement alimenté la presse en 2007, raconte comment l’organisation, partie en mission au Darfour pour s’occuper d’enfants orphelins, manipule les populations locales afin de transporter les enfants jusqu’en Europe.

Les Chevaliers blancs est un film tout à fait fidèle, d’un point de vue narratif, concernant l’événement de l’Arche de Zoé. L’histoire qui se tisse dans ce village désolé est portée à l’écran de manière impressionniste, en présentant avec parcimonie les différents enjeux qui animent les personnages. La force du film réside dans sa capacité à aiguiser une tension latente à l’intérieur du récit. Ceci donne un aspect thriller au film, qui vient briser l’inertie d’une simple reconstitution du fait divers. Ce côté exaltant est d’ailleurs mis à l’épreuve par le traitement du film, qui gère les notions de bien et de mal avec beaucoup de prudence. Sans pour autant tomber dans une critique acerbe de l’événement tragique ou, au contraire, transformer les humanitaires en martyrs bienfaiteurs, le film questionne leur intervention sans pour autant la juger. De ce fait, le spectateur est également pris dans de multiples questionnements éthiques. Etait-ce une réelle opération humanitaire ou bien du trafic de mineur organisé ?

Après A perdre la raison (2012), Les Chevaliers blancs est le deuxième long-métrage où le réalisateur belge choisit d’adapter librement un fait divers ayant défrayé la chronique. Alors que l’on était fasciné (et dérangé, il est vrai) dans A perdre la raison par des moments de pur cinéma, contenant un maximum de tension dramatique dans un minimum d’échanges (la scène d’ouverture présentant les quatre cercueils d’enfants, la scène de meurtre ellipsée par la télévision), on se trouve embarrassé avec ce nouveau film par tant de frasques pour un minimum de sens. En effet, les dialogues, souvent lourds et à la limite du grotesque, ternissent une promesse non tenue de thriller haletant.

La thématique des rapports de force au sein d’un groupe est généralement difficile à exposer dans une ambiance naturaliste. Les Chevaliers blancs ne contourne pas cette difficulté et c’est bien là que le film s’écaille et perd de sa substance. Chaque personnage est cependant bien caractérisé, formant un bel échantillon de la complexe nature humaine: Jacques (Vincent Lindon) le meneur envers et contre tout, Laura (Louise Bourgoin) l’adjuvant vis-à-vis de Jacques, Chris (Yannick Renier) personnage ambivalent qui essaie de perturber les plans de Jacques et, enfin, Françoise (Valérie Donzelli), journaliste en plein reportage sur la mission, apportant un regard distancié.

Alors que ces rapports humains sont souvent traités de manière unilatérale, donnant peu de profondeur aux personnages secondaires, la gestion des dialogues est, de loin, le plus grand écueil du film. A plusieurs reprises, l’habituelle dispute autour de la table se renouvelle et assène le spectateur d’un coup de marteau. Hormis la déconstruction de l’image stéréotypée d’une équipe d’humanitaires philanthropes, ces différents échanges verbaux n’ont pas de réelle valeur narrative.

Toutefois, ce film met en évidence combien une bonne (note d’) intention peut être louable, mais pas suffisante pour faire un bon film. Les Chevaliers blancs constitue donc un essai manqué, mais qui dénote cependant d’une grande maturité et d’une imposante ambition de la part de l’auteur.

Julie De Wispelaere

Titre : Les Chevaliers blancs

Réalisation : Joachim Lafosse

Interprétation : Vincent Lindon, Louise Bourgoin, Reda Kateb, Valérie Donzelli, Yannick Renier et Catherine Salée.

Genre : Drame / thriller

Date de sortie : 27 janvier 2016