Babai ou la perte des repères (Festival du Cinéma Méditerranéen)

Babai

Ou la perte des repères

Festival du Cinéma Méditerranéen

Après la chute du mur de Berlin, Gezim désire quitter Kosovo afin de rejoindre l’Allemagne dans l’espoir de mener une meilleure vie. Son fils Nori, jeune enfant d’une dizaine d’années, refuse d’être abandonné par son père et se colle à lui. Malgré les efforts fous du petit pour accompagner son père – sinon l’empêcher de partir, Gezim réussit à fuir. Nori va alors faire l’impossible pour rattraper son père en Allemagne et il se lance dans une longue journée de voyage illégal.

L’obstination de Nori de rester avec son père s’installe au cœur du film. Le personnage est présenté pour la première fois dans le coffre de la voiture dans laquelle son père cherche à s’immigrer dans un autre pays, l’empêchant ainsi d’aller plus loin à la douane. L’enfant n’hésite pas non plus à se jeter devant un bus pour empêcher ce voyage. La forte relation entre le père et le fils, à l’image de la complexité dans Le voleur de bicyclette de De Sica, se base sur le principe de l’abandon et sur la dualité de l’amour paternel. Père et fils vendent des paquets de cigarettes dans les rues de Kosovo, créant par leur quotidien un lien infaillible entre les deux. Le spectateur ne juge pas le père quand il quitte son fils, il comprend sa nécessité de survie. Quand Nori arrive en Allemagne, il ne prend pas son père dans ses bras, mais lui donne un coup de poing, lui exprimant par ce geste sa déception d’être abandonné. Dans le milieu rural de Babai, l’amour s’exprime surtout par la violence.

Si la première partie du film se limite au cadre de la famille paternelle dans lequel Nori est obligé d’habiter après le départ de son père, la deuxième consiste en son voyage illégal en Allemagne avec les divers obstacles que l’enfant va devoir surmonter seul. En utilisant le microcosme familial d’une histoire d’un père et de son fils, Morina attaque une thématique plus globale, celle des indignités auxquels font face les immigrés pour obtenir un droit qui doit leur être accordé : celui d’une vie normale. Même s’il est temporellement situé après l’après-guerre de Kosovo, le sujet semble ancré aujourd’hui plus que jamais dans l’actualité politique et sociale, surtout avec les affluences immigrantes syriennes vers l’Europe. Babai ose montrer le revers de la médaille que les établissements institutionnalisés désirent cacher.

Morina prend différents partis pris de mise en scène afin de concrétiser à l’image les différents problèmes que rencontrent les immigrés. Il n’hésite pas à l’emploi d’une caméra épaule qui bouge dans tous les sens à la recherche du cadre, d’un flou qui favorise autant l’invisible au visible, d’une obscurité presque totale des plans, du contre-jour, des visages mal éclairés, etc. Le refus de cette image esthétique illustre la perte des repères, l’obstination de trouver un espoir et surtout la notion d’un voyage in media res dont les injustices ne finiront jamais. Ce choix lui a d’ailleurs valu le prix de la mise en scène au dernier festival de Munich.

Le cinéaste pousse cette envie de suggestion par la mise en scène jusqu’à aller contre le potentiel dramaturgique à certains moments où le spectateur ne comprend pas clairement ce qui se passe à l’écran, comme l’arrivée du bateau italien qui laisse certains réfugiés rentrer dans la terre. Par peur de trop en dire, Morina en dit moins. Ce manque ne semble pas se rattacher à des problèmes dramaturgiques, mais plutôt à une faille de la réalisation qui échoue à transmettre clairement quelques éléments scénaristiques.

Babai ne vient pas dénoncer une injustice sociale et politique, mais il transmet une histoire personnelle avec un courage et une honnêteté qui en font une belle découverte. Dans cette homogénéité des divers éléments cinématographiques qui devient d’un coup naturel, les acteurs donnent justice aux thématiques défendues et les transcende avec une pureté on ne peut plus intense.

Patrick Tass

Titre: Babai

Réalisation: Visar Morina

Interprétation: Val Maloku, Astrit Kabashi, Adriana Matoshi, Enver Petrovci, Xhevedet Jashari, Armend Ismajli, Arijeta Ajeti, Alban Ukaj

Genre: Drame