Dernier épisode d’Hunger Games : la fin de la faim

La fin de la faim

Critique du dernier épisode d’Hunger Games

Je n’ai pas lu les livres de la saga Hunger Games, et je crois d’une foi véritable qu’il est inexact de penser cette lecture comme indispensable.

Un film n’est pas un épisode de feuilleton, et même si la contamination de l’un par l’autre ouvre une discussion intéressante sur l’impureté du médium, cela nécessite de conserver une homogénéité et une cohérence qui servirait le film, ce n’est pas le cas pour Hunger Games : La Révolte (partie 2). La saga du geai moqueur s’est logée dans deux extrémités critiquables : celle de la facilité de la redite (les seconds Jeux de la faim dans Hunger Games : L’embrasement (2013) qui ne sont qu’un copier-coller des premiers), et celle d’une complexité épisodique qui empêche le spectateur de comprendre quoi que ce soit s’il ne fait pas partie des aficionados de la franchise.

Si le format des films de la saga Hunger Games pose problème, le traitement des personnages en est un autre. Il semblerait que la découpe ait égratigné les personnages dans leur Être même. Le premier rôle, Katniss Everdeen (Jennifer Lawrence) est plat, vide, quelconque, mièvre et insondable dans son néant. L’héroïne s’étonne encore de la mort alors qu’elle est au front depuis plusieurs mois – une leste indifférence aurait simplement nourri la psychologie du personnage en témoignant de la violente commotion que provoque la guerre. Katniss oscille sans cesse entre deux garçons, mais le triangle amoureux est en perpétuel déséquilibre, car l’un possède un traitement de faveur dans le rythme du film au profit de l’autre.

Les seconds couteaux sont, en revanche, parfaits. Peeta Mellark (Josh Hutcherson) incarne bien le garçon tourmenté, sans réel charisme. Son caractère quelconque a une ambition qui sert le film. Il n’est en rien manichéen, tantôt présenté comme faible, tantôt comme courageux, il s’avoue être un téméraire coéquipier et un camarade de confiance – sauf lorsqu’il craque. Bref, ni bon ni mauvais, il est l’humain dans son essence même, influençable mais miséricordieux, violent et pacifique, passionné et déterminé. Il en est de même pour Haymitch (Woody Harrelson), Finnick (Sam Claflin) ou même Effie (Elizabeth Banks). Chaque personnage derrière Katniss Everdeen a sa couleur, sa note de caractère subtilement étalonnée pour construire la lourde symphonie. Il est dommage que Jennifer Lawrence ne soit pas au rendez-vous, car là où elle doit improviser un solo, sa flûte souffle un accord muet, à l’image de sa voix cassée au début du film faisant l’objet de la présente critique.

La platitude de Jennifer Lawrence est cependant excusable compte tenu du caractère messianique de son personnage. Si sa messianité est avérée, alors il est défendable que Katniss affiche un état spirituel supérieur attestant son manque de profondeur psychologique. Elle est alors moins un individu que l’archétype du sauveur des nations, dont le sacrifice, sublimé par l’asexualité du personnage, est apprécié.

D’abord présentée comme « la fille de feu » dans le premier film (2012), Katniss est la coqueluche des médias de Panem, le monde imaginaire où l’histoire se déroule. On admire sa candidature spontanée aux « Jeux de la faim », sorte de Koh-Lanta où des individus luttent dans une arène jusqu’à la mort, afin de sauver Prim, sa cadette, du tirage au sort. Alors qu’elle se présente comme la plus farouche aux Jeux, elle devient progressivement, et contre son gré, l’égérie d’une révolte qui grouille dans les districts de Panem. Dans les films suivants (2013, 2014), Katniss devient le Geai Moqueur, symbole de la rébellion et, ensuite, porte-étendard de la révolte armée contre le Capitole, où le président Snow (Donald Sutherland) sévit en tyran dans cette société du spectacle.

Mais cette distinction entre la Katniss messianique et la Katniss quelconque ne vaut, hélas, que pour le dernier film de la saga (2015), où son comportement lors de l’exécution du président Snow lui donne enfin une conscience sociale et un sens de la responsabilité. Un clergé en supplantant un autre, Katniss incarne, avec son arc pointé à la fois sur l’ancien tyran chenu et la présidente « par intérim » de la rébellion (Julianne Moore), une troisième voix, celle du peuple, des districts et d’une dynamique sociale qui, par son personnage, devient inéluctable. À travers cet acte, elle devient le Messie de Panem, se retournant contre les marchands du temple et matérialisant la rédemption, le rachat de sa cité des fautes des anciens.

Ce quatrième film, à ce sujet et si l’on s’arrête à cette antépénultième séquence seulement, en sort réussi. Mais rétrospectivement, il marque une trop grande différence avec les précédents épisodes, ceux, justement, où il manque cette conscience sociale à Katniss. Revus à la lumière de cet ultime épisode, les films rapportent une Katniss vidée de sa substance messianique, elle ne matérialise plus que son intérêt ou ses émotions – en aucun cas l’attente d’un peuple entier. Elle est alors semblable à un personnage de film de Kung-Fu, on s’émerveille de ses figures et pirouettes, mais on se bouche les oreilles lorsqu’elle parle.

Je n’éviterai pas enfin la dernière séquence, celle qui clôt cette longue saga qui nous a tenus en haleine trois années durant : Katniss, après la révolte, vit avec Peeta et, n’arrivant pas à dormir, se couche auprès de son ami-amoureux (on n’a jamais vraiment su). Peeta lui demande si elle l’aime, elle répond que oui. Là, le film nous transporte plusieurs années plus tard, dans une image aux couleurs chatoyantes : un pré, des enfants, du bonheur et de la guimauve à volonté. Katniss et Peeta se muent en Charles et Caroline Ingalls dans ce final digne d’une pâle copie de Douglas Sirk. Ici, le film cloue le Messie sur la croix, Katniss Everdeen et Peeta Mellark – ce dernier incarnant aussi un messianisme à sa manière –, mariés et heureux, sont présentés de manière mélodramatique : dénouement heureux, retour d’un passé idéalisé, fin de l’histoire.

Ce n’est pas le mélodrame qui est ici critiquable, mais son mélange avec l’idéal de révolte symbolisé dans les deux personnages. Hollywood nous le rappelle : la rébellion est un idéal impossible à atteindre, il est vain et la constitution d’un foyer par le biais de la tradition matérialise le véritable messianisme. Voilà la nourriture spirituelle des Hunger Games, un pain rassis qui corrompt tout le message principal des films sur la société du spectacle.

Définitivement, un livre n’est pas un film. Et là où la littérature permet une éducation spirituelle intense, elle doit la révérence au cinéma qui permet par son dispositif de faire déplacer des masses devant un écran. Bien que les spectateurs ne lient pas nécessairement connaissance, ils constituent un public qui, le temps d’un film, partage la même lumière – celle du projecteur. De cette lumière naît un enseignement universel, celui d’une prise de conscience. Durant ces deux heures de film, je deviens l’élément d’une masse et je m’aperçois que je ne suis pas seul, que la masse dans laquelle je suis peut devenir ce maillet qui enfonce et travaille le métal afin d’en modifier la forme. Toute œuvre niant ce caractère associatif intrinsèque au cinéma mérite le plus profond mépris.

Thibauld MENKE

Titre : Hunger Games : La Révolte (partie 2)

Réalisation : Francis Lawrence

Interprétation : Jennifer Lawrence, Josh Hutcherson, Liam Hemsworth

Genre : Fantastique

Date de sortie : 18 novembre 2015