Préjudice: Portrait de famille

Portrait de famille

Compte rendu de la rencontre littéraire avec le réalisateur et le scénariste du film Préjudice, Antoine Cuypers et Antoine Wouters

18:00. Nous arrivons sur les lieux de rencontre, “Aux Livres aux Trésors”, Place Xavier-Neujean à Liège. A la réception, on nous indique de prendre place à l’étage de cette petite librairie qui émet un flair nostalgique.

18:05. Les deux auteurs de Préjudice s’installent en compagnie de l’animateur de la rencontre. Le dernier entame ensuite un bref aperçu sur l’œuvre de l’écrivain, Wouters, et sa thématique récurrente des rapports familiaux. Wouters dément ensuite qu’il s’agit d’un choix conscient. Le motif familial serait plutôt une évidence, une thématique qui s’imposerait d’elle-même. Pour lui, une thématique se subit avant tout, s’agissant d’une chose enfouie, et dont l’accouchement textuel permet une sorte de catharsis.

Lorsque l’intermédiaire s’interroge sur l’initiateur du projet, l’autre Antoine, à savoir Cuypers, s’autoproclame avec une pointe d’ironie auteur d’un premier jet. Mais il tempère aussitôt que l’apport de Wouters fut non seulement bénéfique, mais vital pour se repositionner face à une première écriture trop agressive. Cuypers précise qu’une écriture de scénario s’apparente à un long processus qui voit naître plusieurs versions successives.

L’animateur amène ensuite le débat sur les influences de l’un et de l’autre. Le cinéaste avoue alors avoir été initié au domaine littéraire par Wouters grâce à l’écrivain et dramaturge autrichien Thomas Bernhard. Quant à l’impact du monde cinématographique sur Wouters, il se limite surtout aux films bergmaniens et néo-réalistes italiens visionnés pendant son parcours estudiantin. Il rajoute qu’il peine à entrer dans un film à l’heure de la consommation rapide, voire fast food, du cinéma. Pour l’écrivain, la vision d’une œuvre cinématographique nécessite donc un cadre précis qui est celui d’une salle de cinéma.

L’échange se poursuit au sujet du processus d’écriture singulier à deux. Nous apprenons qu’au final, Wouters et Cuypers écrivent peu conjointement, mais davantage en réaction l’un à l’autre. Nous prenons ainsi conscience d’un véritable échange d’univers et d’inspirations opérés entre l’écrivain et le réalisateur. Puis, ces derniers rajoutent que les expériences réalisées sur le plan privé, comme le fait de devenir père eux-mêmes, tout comme les évènements et leurs impacts à une échelle plus globale et même mondiale, tels que les mesures d’austérité, ont considérablement nourri leur travail. De manière générale, Cuypers explique que le processus de création ressemble au schéma suivant : deux pas en avant, un pas en arrière. Par contre, une fois rassemblés autour du texte qui allait servir à tourner, auteurs et acteurs se sont accordés pour se fier au plus près au texte initial. Nathalie Baye aurait ainsi craint de s’égarer de cette œuvre très ficelée. A cet instant, la question de la crainte d’un cinéma peut-être trop bavard s’impose, or rien que la bande-annonce affirme la volonté des deux auteurs de privilégier une économie de mots pour faire parler les regards et les gestes.

Paradoxalement, alors que le modus operandi de Cuypers et Wouters diffère, la contribution du premier fusionne avec celle de l’autre. Si le deuxième apporte, “fidèle à sa profession”, un soin particulier aux choix des mots et à l’absence de certains, Cuypers considère que l’écriture d’un scénario est déjà de la mise en scène, une manière de visualiser le film. Wouters cultive dès lors une approche plus globale avouant éviter d’être présent sur le plateau de peur de ne pas retrouver l’idée de base.

Les deux Antoine confessent ensuite que leur plus grand défi résidait dans l’élaboration des personnages et de leurs rapports de force. Afin de faciliter la compréhension du spectateur, il fallait apporter davantage de profondeur aux caractères, ce qui passe par une confection très détaillée des dialogues. Cuypers fait alors une petite parenthèse quant au fil conducteur, l’Autriche, qui s’est imposé de lui-même. Ainsi, remarque-t-il avec humour, même pour l’auteur, l’écriture relève des surprises. L’animateur recentre ensuite la conversation sur le choix et le jeu d’acteurs. A l’opposé des attentes de ce dernier, aucun d’eux ne fut prémédité. Tout comme le scénario s’inscrit dans la durée, le choix des comédiens varie selon la couleur que l’on souhaite conférer au film. L’intervenant poursuit en citant l’extrait du guide de routard. Il apparaît alors qu’il s’agit d’une compilation de quatre à cinq guides ; ce qui incite les auteurs à noter d’un ton amusé qu’il fallait obligatoirement montrer un routard à l’écran pour des questions de droits. Nous sommes également étonnés de constater que Thomas Blanchard, campant le frère qui fait basculer l’ordre établi, fut casté sur ce plan-séquence. Antoine et Antoine bis rajoutent que l’acteur remplirait la fonction-même de tout comédien : transmettre des sentiments en prenant des détours parfois inattendus. Puis, scénariste et réalisateur reviennent un instant à la problématique des personnages, qui dans ce cas-ci sont déjà imprégnés par le milieu bourgeois dans lequel ils circulent. Ils seraient également réduits par le facteur spatio-temporel, leur long-métrage se présentant sous forme de huis clos. Pour le réalisateur, comme pour le scénariste, la connaissance, et une possible empathie du spectateur sont limitées à ce que ce dernier voit et entend. Elle résulte ainsi de leurs actions et de leur manière de s’exprimer. Plus particulièrement dans Préjudice, les membres de la famille s’adonnent à une véritable partie de ping-pong, et le spectateur sympathise en conséquent tour à tour entre autres avec la mère, le frère ou la sœur.

On nous signale à présent la fin des remarques et interrogations pour passer la parole au public. La première question comporte une note de l’ordre du ressenti de la part des co-auteurs après une première vision de l’œuvre achevée. Wouters, n’ayant pas assisté au tournage, admet avoir nourri une peur de se retrouver avec un épisode d’une mauvaise série de par l’incrustation dans un milieu petit bourgeois. Peur qui aurait été injustifiée, le film dépassant ses attentes. Autre question qui constitue une suite logique de la précédente : dans le cadre d’une écriture en binôme, mais en mode plutôt alterné, les deux auteurs peuvent-ils partager le même sentiment face à la résolution ? Cuypers revient à la charge en insistant que la première version de Préjudice fut plus tranchée. Il s’estime donc heureux d’avoir (re)trouvé cet aspect multiple des êtres. Dans Préjudice personne n’est exclusivement bourreau ou victime ; il est moins question de juger les personnages d’un point de vue moral que de les comprendre, de remettre en question la perspective de chacun et de véhiculer un tour de table au sein d’un espace-personnage englobant : la maison. Enfin pour Cuypers, le réalisateur n’est autre qu’un spectateur de son propre film. Il souhaite non pas apporter des réponses préétablies et définitives au film, mais stimuler le public à y trouver les siennes.

Nous clôturons l’échange par une dernière interrogation portant sur les acteurs du film et surtout Arno. Si certains réalisateurs préfèrent inventer des personnages de toutes pièces, d’autres se nourrissent des traits existants des acteurs. Cuypers et Wouters, de leur propre aveu, s’inscrivent dans la deuxième tendance. Pour étoffer psychologiquement le personnage du père, ils se sont inspirés d’Arno, père de famille touchant, ce qui le distingue du personnage public, plus fanfaron.

19:00. Avant de passer au cinéma de l’autre bout de la rue, l’intermédiaire nous rappelle les trois titres de l’écrivain, Césarine de nuit (2012), Sylvia (2013) et Nos mères (2014), et nous motive à faire l’écho du débat en tête à tête.

Mara Kupka

 

Titre : Préjudice

Réalisation : Antoine Cuypers

Interprétation : Nathalie Baye, Arno, Thomas Blanchard, Ariane Labed.

Genre : Drame

Date de sortie : 7 octobre  2015