Human de Yann Arthus-Bertrand

Human de Yann Arthus-Bertrand

Après Home en 2008, le photographe français Yann Arthus-Bertrand, auteur du best-seller La Terre vue du ciel (1999), propose un nouveau projet filmique. Human profite d’une diffusion massive : festivals, télévision, cinéma, dvds, mais aussi internet.

En 2008 Home, en 2015 Human . Deux titres programmatiques, particulièrement ambitieux : la Terre et l’Humanité. Si le premier avait une visée écologiste, cette fois-ci l‘approche est humaniste. Le dispositif de Human est simple : des témoignages face caméra d’individus de toutes les régions du globe, sans aucune distinction, mis à égalité par un même cadrage, portrait devant un fond noir, et entrecoupés le long des 3 heures de film par des « interludes » constitués de vues du ciel chères à Yann Arthus-Bertrand et massivement chargées de musique.

La matière première, les témoignages, confère au film une puissance incontestable. Le dispositif, efficace, permet au film de s’ériger en espace de parole, où les questions vraisemblablement posées orientent, mais dont le mérite est la latitude qu’elles offrent aux individus pour s’exprimer, latitude que chacun saisit à sa manière. Les grands thèmes sont là : guerre, consumérisme, catastrophes écologiques, flux migratoires, homosexualité, injustices sociales,  pauvreté et richesse, amour et haine, vie et mort. S’offrent dans leur singularité des langues, des gestes, et surtout des visages, rendus superbement. Là où la voix-over paternaliste de Home était irritante, Human délègue la parole aux intervenants. Le spectre des récits est large et l’on sait gré au film d’éviter le commentaire over ou l’ajout musical, faisant confiance aux individus, à la force de l’oralité.

Pourtant, la confiance accordée n’est que toute relative, et de la toute-puissance de la table de montage, par l’organisation et la découpe des témoignages (jamais plus de deux minutes), c’est bien Yann Arthus-Bertrand et son équipe qui tirent les fils. La variété des sujets traités porte l’ambition globalisante du film, mais leur agencement foutraque et la décontextualisation permanente posent problème. D’autant plus que la complexité des thèmes, portée par une multiplicité de points de vue, converge, par le montage, vers un message béatifiant : la voie du salut, c’est l’amour. Par la globalisation des sujets, Human assène ainsi une solution univoque sans même chercher une communauté de causes.

Plus grave, la gêne ressentie devant Human est la sensation d’être face à un produit tout fait. Certes, les divers témoignages ont un véritable impact, les visages sur lesquels se révèleune expérience de vie portent une forte charge émotionnelle, on rit et on pleure. L’émotion est donc présente, mais la manipulation n’en est que d’autant plus perverse. En effet, Human apparaît comme un film préconçu auquel il manquait seulement la matière. La caméra se faisant simple réceptacle à cette matière-témoignage. Si le traitement uniforme de celle-ci n’est pas un problème en soi, cela débouche vers une mise à plat qui ne vient servir que la consensualité du message. Ainsi le film se vante d’être allé à la rencontre de plusieurs centaines de personnes, mais il est difficile de parler réellement de rencontre, tant est absente l’interactivité entre sujet filmé et caméra (pourtant moteur du cinéma documentaire). Human est donc un film qui, tout son long, pose des questions sans se questionner lui-même.

Les interludes sont symptomatiques de Human. Ces « vues du ciel », marque de fabrique de Yann Arthus-Bertrand, ont d’abord une capacité à susciter l’émerveillement. Mais l’uniformité et la redondance de ces plans font de nouveau surgir le problème de ce regard qui ne se questionne pas. Comme si tous les paysages étaient filmables de la même manière, la beauté du monde seulement accessible depuis un hélicoptère. Il n’est d’ailleurs sûrement pas fortuit de constater que les figures de style utilisées, c’est-à-dire de longs travellings en plongée, ralenti et musique à fond, sont récurrents dans l’esthétique publicitaire. Images sans individualité, lisses et faciles, se donnant « belles » sans accroc : continuité de la mise à plat à l’œuvre dans le film. Pour reprendre Serge Daney, on pourrait dire que le film produit du visuel et non de l’image.

Par l’intermédiaire d’un commentaire de l’actuel président uruguayen (seule « personnalité » identifiée du film), Human se veut également un appel à la sobriété. Or, il est bien difficile de trouver trace de sobriété dans ce projet. Les interludes sont pompeux et grandiloquents; mais, surtout, on est face à un film qui se vend sur des chiffres : 60 pays, 2020 interviews, 500 heures de tournages aériens, etc. La quantité comme légitimité ? L’idée de Human est de récupérer un maximum de témoignages, un maximum de larmes, peu importe les individualités, pour fondre le tout en un message déjà conçu. Comme si, avant même d’avoir commencé les trois années de tournage, Yann Arthus-Bertrand savait déjà exactement ce qu’en serait le résultat final : un film qui ne se laisserait pas dépasser par son sujet, un film qui s’ouvrirait et se clôturerait sur des larmes, un best-of d’interviews dont seuls vaudraient les moments de tension lacrimale. Les témoignages comme autant de perles enfilées à un collier qui décidément sent bien trop le toc.

Paul Michel

 

Titre : Human

Réalisateur : Yann Arthus-Bertrand

Genre : Documentaire

Date de sortie : 25 Novembre 2015