Pan de Joe Wright : Seul sur Neverland

Pan de Joe Wright

Seul sur Neverland

C’est la crise du tourisme au pays imaginaire ! Si la planète Mars et son unique habitant s’imposent comme la destination incontournable des salles obscures en cette fin d’année, peu de voyageurs se sont laissés séduire par un nouveau séjour sur la célèbre île peuplée de fées, de pirates et d’indiens. Doté d’un budget de 150 millions de dollars, Pan est devenu, en quelques semaines, un vrai gouffre financier pour sa société de production la Warner. La question se pose alors : victime collatérale du succès de Ridley Scott sorti une semaine avant aux Etats-Unis ou échec mérité ?

Que ce soit sous forme d’un dessin animé Disney, d’un film de Spielberg ou même d’un spectacle sur glace, Peter Pan fait partie du club très fermé des personnages populaires qui finissent toujours  par rencontrer leurs publics. Sortie tout droit de l’imagination de l’auteur J.M. Barrie (incarné par Johnny Depp dans Neverland en 2004) au début du vingtième siècle, l’histoire du petit garçon refusant de grandir a réussi à émouvoir autant de générations qu’elle a pu en traverser. Si des œuvres comme la troisième saison de Once Upon A Time (2013), le mini-série britannique Neverland (2011) ou le film Hook (1991) abordent déjà l’arrivée de Peter Pan au Pays Imaginaire, aucun blockbuster américain ne s’était vraiment penché sur ce sujet. C’est désormais chose faite grâce à un prequel occupant les salles belges depuis le 21 octobre.

Annoncé en novembre 2013, le projet Pan est décrit par la presse comme le futur Batman Begins. Victime deux mois plus tard des changements du calendrier de la Warner tournant autour du très attendu Batman vs Superman et de sa difficulté à respecter ses délais, la sortie de Pan est avancée à la date initialement prévue pour les deux super héros. Cet imprévu empêche le réalisateur Joe Wright (Orgueil et Préjugés, 2005) de disposer du temps nécessaire pour préparer le tournage et d’emmener son œuvre au sommet de ses ambitions.

Comme Le Monde de Narnia : Chapitre 1 (2005), le film débute dans le Londres de la Seconde Guerre Mondiale. Abandonné sur les marches d’un orphelinat à sa naissance,  Peter (Levi Miller), 12 ans, n’a qu’un rêve en tête : sortir de cette prison gérée d’une main de fer par des soeurs cruelles. Une nuit, les pirates de Barbe Noir (Hugh Jackman) pénètrent dans les dortoirs et capturent le jeune garçon afin de l’emmener au Pays Imaginaire à bord d’un bateau volant. Réduit en esclavage, Peter est obligé de travailler dans une mine à la recherche d’un matériau très rare : la poussière de fée…

Ni une bonne adaptation…

Mettre en place un prequel de l’oeuvre de Barrie est un parcours du combattant semé d’obstacles dont le plus dangereux est son personnage central. Référence dans le genre, la seconde trilogie Star Wars (1999-2005) suit le jeune Anakin Skywalker sur un chemin dont la destination est connue d’avance par le public : le sombre et torturé Dark Vador. Mais quel chemin exploitable au cinéma peut précéder Peter Pan, incarnation humaine de l’enfance et de l’innocence ? Des pincettes sont nécessaires pour élaborer ce projet laissant peu de place à de grands chamboulements.

Loin de la version de Once Upon A Time, qui utilise cet obstacle pour nourrir l’histoire qu’elle propose, Wright élargit le fossé entre son film et l’œuvre originale en attribuant au personnage ce qu’un enfant déteste le plus au monde : des responsabilités. Peter Pan devient le messie du Pays Imaginaire arrivé tout droit pour le sauver et accepte ce rôle avec beaucoup (trop) de maturité.

A trop surfer sur la vague des films fantastiques mettant en scène un héros élu par une prophétie, Pan oublie Peter, le petit garçon insouciant décrit par Barrie, et passe à côté de son sujet. Voir le personnage le plus insolent de la culture populaire transposé à l’écran sous les traits trop sages de Levi Miller (13 ans) déstabilise le spectateur et la sensation d’assister à un ersatz Harry Potter chez les Pirates plane durant deux heures.

Mais le vrai handicap de ce prequel reste son scénario : Pan rate sa cible. Les dialogues, signés Jason Fuchs, ne débordent jamais des limites du premier degré. Les gentils sont gentils, les méchants sont méchants et entre les deux, c’est le gouffre. La psychologie est totalement mise de côté, ce qui est un comble pour un personnage ayant donné son nom à un syndrome.

Là où le Hook de Spielberg parle aux spectateurs de tout âge, Pan ne s’intéresse pas au plus de 12 ans. Brillant par son manque de subtilité, le film est bien loin de l’œuvre intergénérationnelle servant de point de départ. Wright commet l’erreur que beaucoup de réalisateurs font aujourd’hui : réduire le cinéma familial à un scénario dénué d’intelligence.

…Ni un mauvais film !

Malgré ses défauts, Pan séduit par l’image. Entre effets spéciaux et décors de qualité, les amateurs d’aventure pas très regardants sur le scénario y passeront un moment agréable. De Tim Burton à Avatar, le Pays Imaginaire est un mélange de tout ce qui se fait de mieux dans le cinéma fantastique de ces dernières années. Mention spéciale au village indien imaginé par la décoratrice française Aline Bonetto qui accueille en son sein une scène d’assaut très réussie aux allures d’Holi Fest.

Parmi les passages à retenir, l’enlèvement de Peter sur le bateau de Barbe Noire vaut son pesant d’or. Les pirates descendant du plafond pour arracher les enfants de leurs lits, le bateau volant près d’avions allemands, un petit passage dans l’espace : des plans d’une poésie rarement vue s’enchaînent, offrant un spectacle visuel à couper le souffle.

L’arrivée du vaisseau à la mine sur le tube de Nirvana Smell Like Teen Spirit repris par les travailleurs fait également son effet. Le temps d’une chanson, une atmosphère puissante s’installe. Le manque de fluidité entre cette séquence et le reste du film invite à penser que le projet de départ imaginé par Wright s’inscrit dans cette veine. Comme Pirates Des Caraïbes (2003), nul doute que Pan pouvait prétendre au titre de Hit si les autres scènes avaient suivi la marche.

Et que serait une bonne image sans la bande son adéquate ? Connu pour son travail sur l’Age de Glace ou Shrek, John Powel livre de belles compositions fidèles à l’univers de J.M. Barrie. Telles les œuvres d’Hans Zimmer ou de Dave Grusin (les Goonies 1985), la bande originale de Pan transporte le spectateur sur un bateau de pirates en plein océan.

Un casting qui ne vole pas haut

Véritable point fort du film, Hugh Jackman livre un Barbe Noire assez étonnant. Le désir de dépasser des dialogues limités se fait sentir dans chacune de ses scènes où l’acteur s’investit au maximum dans ce personnage peu fourni par le scénario.

Si le jeune Levi Miller peine à convaincre dans son interprétation de Peter Pan, la vraie erreur de casting est Garrett Hedlund. Pas du tout aidé par son look d’Indiana Jones, l’acteur manque cruellement de personnalité pour le rôle de Crochet et traverse le film sans laisser le moindre souvenir aux spectateurs.

Mara Rooney se contente du minimum syndical dans son interprétation de Lily la Tigresse. Le sosie d’Audrey Hepburn s’ennuie et cela se voit à l’écran.

Annoncées comme têtes d’affiches, Cara Delevingne et Amanda Seyfried totalisent 75 secondes de présence à elles deux, mettant ainsi leurs popularités au service du film. La manière dont Wright dirige ses comédiens est à l’image de son casting : baclée. En effet, les changements de calendrier ont empêché le réalisateur de former sa distribution rêvée (les noms de Ryan Gosling et de la française Adèle Exarchopoulos ont notamment circulé pour les rôles de Crochet et de Lily la tigresse).

L’un des plus grands échecs commerciaux de 2015

Lorsque Joe Wright ouvrira sa fenêtre la nuit pour tenter de s’envoler, sa pensée agréable ne sera sûrement pas la réception de Pan. Alors que les premières estimations évaluent la perte engendrée par le film à plus de 150 millions de dollars, le réalisateur vient de se faire écarter du projet Emperor, future grande franchise de la Warner centrée sur Jules César.

Pan n’est pas aussi mauvais que ses résultats au box office le laissent paraître. Souffrant d’un scénario basique, d’un non-respect de l’œuvre originale et d’un public mal ciblé, le film ne pouvait compter que sur ses décors et ses effets spéciaux pour prendre son envol. Malheureusement, Joe Wright ne fait pas le poids face à Ridley Scott dont le martien s’impose comme un projet visuellement plus attendu par le public.

Si aucune déclaration officielle concernant une saga Pan n’avait été faite, la fin bourrée de références peu subtiles en dit long sur les espoirs de la Warner. La suite se serait sans aucun doute penchée sur le Capitaine Crochet dont le côté sombre n’est pas du tout exploité dans le film, loin de livrer toutes les réponses attendues par le public. A moins d’un miracle, Pan devrait rapidement rejoindre le cimetière des franchises mortes nées comme Eragon (2006), The Lone Ranger (2013) ou John Carter (2012).

Cet échec n’a cependant pas totalement refroidi les studios à l’idée de poser leurs caméras au Pays Imaginaire étant donné qu’un film Disney sur la Fée Clochette (qu’on ne fait qu’entrevoir dans Pan) est actuellement en cours de préparation avec Reese Witherspoon dans le rôle principal. Preuve que l’univers de J.M. Barrie a encore de beaux jours devant lui.

Robin Fourneau

Titre : Pan

Réalisateur : Joe Wright

Interprètes : Hugh Jackman, Levi Miller, Garrett Hedlund, Rooney Mara, Cara Delevingne, Amanda Seyfried

Genre : Aventure fantastique

Sortie : 21 octobre 2015