Le fils de Saul : L’heure est venue où le fils doit être glorifié

Le fils de Saul

L’heure est venue où le fils doit être glorifié

Le premier qui, face à un cadavre, s’avisa de dire, «ceci est mon corps», fut le véritable fondateur de la société civile.

Là est peut-être le réflexe de survie qui agite Saul, principal personnage du premier long-métrage de Laszlo Nemes. Saul fait partie du Sonderkommando, cette unité spéciale chargée de participer au processus de la solution finale. Ce sont ces détenus, Juifs pour la plupart, qui assistent les arrivants fraîchement débarqués dans les camps de la mort. Ils les encadrent dans la salle de déshabillage, où ils les rassurent sur leur avenir dans ce que ces derniers croient être un camp de travail en Europe de l’Est. Ils sont les porteurs de secrets de l’aiglon nazi. Une fois l’opération terminée, ils sortent les corps de la chambre à gaz et les amènent aux lieux de crémation. Ces petites mains de la grande industrie nazie dépouillent les arrivants de leurs bagages, de leurs bijoux, ils leurs coupent les cheveux et, au sortir de la chambre à gaz, enfoncent leurs doigts dans l’orifice détendu des exuvies aux âmes profanées afin d’y chercher un quelconque objet de valeur.

C’est dans le soufre des chambres à gaz, baignant au cœur d’un océan de cadavres flous, que le macchabée d’un enfant – celui de Saul – fait jaillir une inespérée étincelle d’humanité. Le père est immédiatement pris par une obsession, qui au centre même de la barbarie humaine se présente comme l’unique survivance d’un rite bien ancien et oublié de tous : celui d’enterrer ses morts.

L’histoire de Saul n’est pas l’Histoire, elle est une histoire. Une histoire qui ne lui appartient qu’en principe, car elle est ce regard-témoin qui inscrit sur la pellicule analogique le témoignage de millions d’autres. Elle retrace le chemin d’un Sonder pour qui les vivants sont déjà morts, et les morts des Stücke [1] après l’irrévocable Aktion [2].  

Le récit qu’il conte n’est que le sien, un maigre chemin escarpé sur l’abîme où errent les millions d’âmes muettes. Mais cette humilité a ses limites. Il est à déplorer de voir un individu participer à des événements aussi exceptionnels, malgré la minutie mise dans le récit afin de se garder de tout héroïsme : la prise de photographies par le Sonderkommando, la révolte de ceux-ci et le slalom presque exhaustif des différentes étapes de l’extermination. Car si la mythification n’est pas le propos, le quotidien du détenu aurait pu l’être. Non pas que le spectateur exige d’en voir plus, il aurait mieux fallu y être, mais cela pour permettre de réprimer les mouvements de l’orgueil et de pousser la logique iconoclaste jusqu’à son point d’efficience. Le but aurait été atteint. En attendant, il est à un ongle du sommet.

Mais peu importe. Pour Saul, son fils peut aller en paix, car du feu des fosses de l’enfer, il a pu être accompagné par son père jusqu’à la traversée des eaux du Jourdain, sanctifié ainsi par un kaddish symbolique. Laszlo Nemes évite cependant les fins heureuses, car, à Auschwitz, la mort appelle toujours la mort.

Thibauld MENKE

[1] Littéralement : pièce. Les Nazis traitaient les prisonniers ainsi.

[2] L’Aktion est le terme technique usité par les Nazis pour définir le gazage des Juifs.

 

Titre : Saul fia (Le Fils de Saul).

Réalisation : Lazslo Nemes.

Interprétation : Géza Röhrig, Levente Molnár, Urs Rechn.

Genre : Drame.

Date de sortie : 28 octobre 2015.