Junun de Paul-Thomas Anderson

Junun de Paul-Thomas Anderson

En accompagnant le guitariste de Radiohead Jonny Greenwood au Rajasthan pour l’enregistrement de l’album Junun regroupant de nombreux artistes, le réalisateur Paul-Thomas Anderson s’est essayé pour la première fois au genre documentaire. Si le film se veut moins ambitieux que ses œuvres précédentes, Junun ne marque pas une rupture dans la filmographie de l’auteur de Boogie Nights (1997) et There Will Be Blood (2007), mais une parenthèse. C’est un film qui s’inscrit parfaitement dans le parcours artistique d’un cinéaste qui touche à tout les genres et qui s’est permis, le temps d’un moyen-métrage, de livrer un essai mineur mais fascinant.

Jonny Greenwood, qui a composé la musique des trois derniers films d’Anderson, semble être la raison de la présence du cinéaste au Fort Mehrangarh dans lequel une troupe de musiciens enregistrent  l’album Junun. Le célèbre musicien n’est cependant pas l’objet principal du documentaire : il est discret, presque absent. La caméra met en valeur chaque artiste, indistinctement. On le réalise très vite, le personnage principal du film, c’est la musique. Résultat d’un effort collaboratif entre Greenwood, le compositeur israélien Shye Ben-Tzur et le groupe indien The Rajasthan Express, elle marque l’oreille par son mélange d’influences occidentales et orientales, anciennes et modernes. Trompettes, flûtes et guitares se mêlent aux chants en hébreux et hindi, et donnent à la bande-son un dynamisme entraînant.

Au cours des 54 minutes qui composent le film, quelques noms nous sont donnés, certains musiciens sont occasionnellement interviewés, mais Junun n’est pas un documentaire qui cherche à nous expliquer les tenants et aboutissants de la création de l’album. Anderson évite les écueils habituels du documentaire musical en proposant une structure narrative constamment changeante, avec pour seul fil conducteur la musique. Il est difficile d’établir quel serait le propos spécifique du film, qui trouve sa force non pas dans ses thématiques, mais dans sa capacité à faire partager au spectateur le plaisir de composer, d’interpréter et d’écouter. Anderson capte ces personnes dans l’acte créatif et leur joie est contagieuse.

Malgré la petitesse de l’entreprise, plusieurs moments de bravoure cinématographiques nous rappellent qui se trouve derrière la caméra. Un piano désaccordé nous amène à un parcours d’une poésie inattendue au travers de la ville de Jodhpur. La caméra est presque toujours en mouvement, scrutant par exemple les sessions d’enregistrement avec des panoramiques à 360°. Un des plus beaux moments du film nous montre en contre-plongée le sommet de la plus haute tour du fort depuis laquelle un musicien nourrit une nuée d’oiseaux. Le surprenant choix d’Anderson de tourner avec des caméras digitales plutôt qu’avec de la pellicule se justifie par l’usage de drones pour tourner ces scènes aériennes. Quoique l’image ne soit pas exempte de défauts en raison du passage au digital, ceux-ci sont compensés par l’intensité et la chaleur des tons. Si le film est beau à regarder, c’est aussi grâce à la magie du lieu dans laquelle il est tourné : construit au 15ème siècle et somptueusement décoré, le fort surplombe la ville d’une centaine de mètres et participe à l’atmosphère envoûtante du film.

Il est à noter qu’aucune sortie en salle n’est prévue, sa distribution se faisant pour le moment au travers de la plateforme de streaming payante MUBI. Ce choix témoigne des ambitions limitées de Junun. Avec talent, Anderson capte des instants, des musiques et des artistes mais ne cherche pas forcément à en faire plus. Certains pourront trouver le résultat décevant de la part d’un réalisateur aussi inventif, mais l’expérience n’en est pas moins intéressante.

Adrien Corbeel

Titre : Junun

Réalisation: Paul-Thomas Anderson

Interprétation : Shye Ben Tzur, Jonny Greenwood, Nigel Godrich, Aamir Bhiyani

Genre : Documentaire, Film Musical