L’Hermine: Les jeux sont faits (FIFF)

L’Hermine

Les jeux sont faits

Compétition Officielle au Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF)

Le Président de cour d’assises, Michel Racine (Fabrice Luchini), est confronté à un cas majoritairement considéré comme difficile: : un père est accusé d’avoir tué son bébé à coups de pieds. Pourtant Racine paraît s’attaquer à cette affaire avec son habituel détachement. Dans le milieu, on le qualifie de quelqu’un avec qui on se prend facilement dix ans de prison. Mais cette fois son modus operandi est perturbé par un facteur inattendu: Birgit Lorensen-Coteret (Sidse Babett Knudsen, Birgitte dans la série danoise Borgen), jurée tirée au sort dans cette affaire. Avec elle, tout un passé et une sensibilité émotionnelle ressurgissent, et Racine découvre un second printemps.  

Avec L’Hermine, Christian Vincent renoue avec la thématique de la culpabilité suite à la mort d’enfants explorée précédemment dans Les Complices, téléfilm diffusé une première fois en 2013. Si l’œuvre précédente se plaçait davantage du côté des accusés, Vincent visite ici l’autre partie. L’intrigue amoureuse réside toutefois au cœur de l’Hermine.

Pour son long-métrage, le cinéaste semble se baser sur la notion de jeu au sens large. Il l’installe très tôt par un jeu de mots (visuel). L’image d’une pomme parasitée n’est pas seulement métaphorique de la fatalité de l’homicide suite au milieu parental, mais elle réfère également à l’histoire d’amour mi-entamée mi-consommée. Plus globalement, elle décrit bien le caractère et les habitudes du personnage qui se débarrasse d’un coup sec de tout(e) intrus(ion).

La notion de jeu s’applique aussi à des détails en apparence insignifiants, comme les costumes et les accessoires. Ainsi, le rouge de l’écharpe de Racine renvoie à celui du manteau de Birgit, et le bleu dans les tenues de cette dernière envoie un clin d’œil à l’étoile de la robe du Président. A l’intérieur comme à l’extérieur de la cour, parmi les nombreuses nuances de gris, brun et beige, les personnages apparaissent liés par le dialogue entre ces couleurs primaires. Ensuite, le rouge, couleur qualifiée à juste titre de voyante par un personnage, dévoile paradoxalement l’incertitude du protagoniste. Le cinéaste s’amuse vraisemblablement en jouant avec les préjugés du spectateur.

Par le couple Racine-Birgit, le réalisateur démontre un jeu d’attractions entre des univers a priori totalement opposés. L’exemple phare réside peut-être dans le contraste de leurs foyers respectifs : celui de Birgit, par ailleurs très complice avec sa fille, est illuminé par de nombreuses bougies, soulignant la chaleur et la convivialité qui y niche; tandis que la maison qu’habitait autrefois Racine avec son épouse apparaît parsemée de fruits et fleurs en état de décomposition et hantée par le spectre d’une histoire résolue. Par contre, en dépit des apparences, Racine  comme Birgit partagent une solitude bien qu’elle se décline différemment pour chacun. L’amabilité de convenance de Birgit devient presque intenable, alors que Racine masque son embarras par la distance.

Plus précisément, le jeu de Luchini, qui retrouve Vincent après Il ne faut jurer de rien (1983) et La Discrète (1990), est profondément touchant et perturbant tellement il est réaliste. Il incarne véritablement ce malaise d’un homme plus seul que solitaire, qui se perd dans des explications maladroites pour s’approcher des gens alors que le bruit de ses propres pas l’en éloigne intérieurement. Il n’est pas surprenant d’apprendre que son interprétation de cet homme piégé par un mécanisme d’auto-défense ait remporté le prix du Meilleur comédien à la dernière Mostra de Venise.

Christian Vincent dépeint dans L’Hermine la croisée des destinées humaines, leurs bifurcations et leurs impasses, s’adonnant ainsi à une étude profonde des caractères humains sans juger, ni excuser, mais en observateur neutre et délicat. Malgré la gravité de l’intrigue judicaire, le réalisateur parvient à installer une certaine douceur générale, voire même une forme de gaieté, en recourant à petites doses à l’ironie.

Mara Kupka

 

Titre : L’Hermine

Réalisation : Christian Vincent

Interprétation : Fabrice Luchini, Sidse-Babette Knudsen, Corinne Masiero, Miss Ming, Chloé Berthier, Michaël Abiteboul, Victor Pontecorvo.

Genre : Comédie dramatique