Je me tue à le dire de Xavier Seron (FIFF)

Je me tue à le dire de Xavier Seron

Prix Cinevox – Long-métrage belge au Festival International du Film Francophone de Namur

Au « sein » de l’humour noir

Peut-on rire du malheur des autres sans se sentir coupable ?

C’est en tout cas ce que propose Xavier Seron pour son premier long-métrage de fiction cyniquement intitulé Je me tue à le dire. Un récit dramatique subtilement parsemé d’événements tant sinistres que cocasses, avec une véritable réflexion sur les enjeux du cancer et de l’angoisse de mourir pour lesquels le rire joue un rôle cathartique.

L’histoire est celle d’un homme banal, Michel Peneud (Jean-Jacques Rausin), mais que la peur de la mort va venir hanter. Sa mère (Myriam Boyer) est atteinte d’un cancer du sein. Depuis, Michel l’observe se laisser aller en attendant la fin (elle ne boit plus que du mousseux comme si c’était du champagne). Il l’observe car lui aussi, devenu hypocondriaque, développe des symptômes similaires. Pertes de cheveux, visage blafard, rupture amoureuse et étrange grosseur à la poitrine. Pour son médecin, c’est une tumeur bégnine. Pour Michel, c’est foutu : il va mourir.

Le succès du film tient indubitablement aux mauvaises plaisanteries et aux situations incongrues dans lesquelles Michel s’enlise dû à son inquiétude maladive. Si le film traite manifestement d’un problème sérieux, Xavier Seron parvient de manière très juste à insérer et à doser les phases humoristiques qui effacent par brefs moments le côté dramatique de la chose. Des blagues au timing calculé qui osent s’enfoncer de plus en plus vers le noir, sans pour autant tomber dans la surenchère inutile et déplacée.

L’écriture du scénario, que l’on sent très préparé et abouti, permet d’alterner entre ces différentes zones, du rire jaune aux émotions réflexives, qui font le réel plaisir du film. Tout est écrit et parfaitement structuré. Xavier Seron divise son film en plusieurs étapes majeures de l’évolution pathologique du personnage de Michel. Outre les jeux de mots macabres des titres des chapitres, Seron offre au spectateur d’interpréter la maladie de Michel d’après diverses thématiques : la religion (la figure christique), l’amour (de sa mère et de sa petite amie), l’amitié (de son collègue de travail), la psychanalyse (son complexe Œdipien refoulé autour de sa mère), etc. Si le personnage apparaît physiquement assez anodin, le jeu d’acteur en peaufine la caractérisation psychologique.

Visuellement, le réalisateur a opté pour le noir et blanc. Si la réussite scénaristique et de mise en scène fait l’unanimité, ce choix esthétique est plus contestable. Sans rappeler, dans un registre d’humour noir similaire, le film de Rémy Belvaux C’est arrivé près de chez vous où le noir et blanc semblait plus être une contrainte de tournage qu’un véritable parti pris, le film de Seron ne semble pas avoir pesé le véritable poids des nuances de gris. L’intérêt n’est tant esthétiquement que thématiquement pas justifié. Par contre, la composition du cadre est magistralement agencée. Le côté macabre de l’humour noir gagne « en couleurs » par le positionnement des acteurs, des objets mais surtout des lieux de l’histoire. L’image en noir et blanc a alors pour effet de ramener à l’aspect mortuaire. Les lieux paraissent plus « sombres » et ruinés, à l’instar de ce que Michel pense de sa vie.

La plus grande particularité de certains plans est leur construction autour des sujets principaux abordés par le film. La métonymie visuelle est de mise, au point que le cancer du sein soit décliné sous d’innombrables formes et objets similaires à un sein (un demi citron, pour ne citer que celui-là). Notamment par un jeu de mot christique avec la figure du « saint », ou les petites briques de lait de vache pour enfant que Michel « tète » comme s’il s’agissait de la poitrine de sa mère lorsqu’elle l’allaitait (ce qui renvoie également à son trouble de l’enfance freudien).

Finalement, Je me tue à le dire parvient magistralement à mêler le dramatique au rire, à travers un humour noir osé, rythmé et très travaillé tant dans les dialogues que visuellement, afin d’offrir un moment de cinéma belge pas comme les autres. Une manière d’aborder la mort sans complexe et avec une sensibilité particulière.

Willems Bertrand

 

Titre : Je me tue à le dire

Réalisation : Xavier Seron

Interprétation : Jean-Jacques Rausin, Myriam Boyer, Fanny Touron, Serge Riaboukine, Franc Bruneau, Jean-Benoît Ugeux

Genre : Drame / comédie noire

Sortie : 4 mai 2016