The Grand Budapest Hotel (analyse)

The Grand Budapest Hotel

Ou l’euphémisme cinématographique

« To be frank, I think this world had vanished long before he entered it, but I will say : He certainly sustained the illusion with a marvelous grace. »

(Mustafa Zero, The Grand Budapest Hotel)

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Frappée par le trouble obsessionnel de son réalisateur, l’esthétique de l’image de Wes Anderson n’est pas seulement devenue aujourd’hui facilement reconnaissable suite à sa singularité, mais elle constitue un prototype cinématographique. Film après film, le cinéaste parfait son style assez plastique jusqu’en extraire une hyperbole avec son dernier film The Grand Budapest Hotel.

La symétrie bilatérale de la composition d’Anderson accentue sa grammaire cinématographique qui se base surtout sur le schéma planimétrique (photos 1- 2 – 3 – 4 – 5). Comme Bordwell l’entend, ce schéma consiste en une présentation frontale du personnage cadré perpendiculairement à un fond, en face caméra. Des lignes horizontales, verticales, parallèles et perpendiculaires se distinguent alors dans le cadre. Sans vraie utilisation de la profondeur du champ, la platitude de l’image ressort davantage avec une centralité quasi-globale du personnage. Si sa composition plus que parfaite sous-entend pour certains une superficialité du propos, surtout avec une saturation de couleurs quasi-artificielle, le dernier film du réalisateur cache une vision du monde moins gaie.

Après une longue entrée en matière qui passe par une série de récits encadrés (une fille qui lit un livre devant une statue de son auteur mort, l’auteur du livre qui parle face caméra, retour en arrière dans sa vie en 1960, sa rencontre avec Zero, souvenir de Zero en 1930), le film nous ramène quelque part dans la république fictionnelle du Zubrowka entre les deux guerres mondiales. Les aventures de Gustave H, le concierge du Grand Budapest Hotel et de Zero, son jeune employé qui devient son protégé, sous-entendent d’autres propos que la simple histoire. A travers plusieurs détails, Wes Anderson démontre qu’un langage excessivement ornementé n’empêche pas d’exprimer la gravité de son propos mais qu’il est capable de lui conférer un goût différent.

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The Grand Budapest Hotel est un film sur l’Holocauste sans en raconter l’histoire ou en portraire les victimes et les bourreaux. Wes Anderson accumule les indices en toute subtilité sans en déclarer aucun : le costume des prisonniers rappelle celui porté dans les camps de concentration (photo 2), un pays européen fictionnel comme le Zubrowka est une référence à un Hitler qui se prépare pour changer le monde, le vol artistique des Nazis est concrétisé par celui du petit tableau précieux… Si le personnage de Dimitri, joué par Adrien Brody, (photo 4) rappelle un certain Hitler maléfique, les ZZ envahissant l’hôtel à la fin du film, qui renvoient aux officiers SS des Nazis, viennent renforcer la suggestion (photo 3). Plus loin, le cinéaste rassemble dans son film les trois populations détruites par les Nazis : Gustave, le bisexuel sophistiqué, représente les homosexuels envoyés dans les camps de concentration ; Zero, dont la famille a été assassinée, évoque les minorités martyrisées ; Kopacs, suivi et tué par Joplins, est un échantillon des juifs et de leur histoire.

Sous la saturation des couleurs des images, se cache un état d’âme grisâtre mélancolique et nostalgique. Mrs D représente une femme hantée par l’ombre d’un passé qui n’existe plus. Son costume ne cherche pas uniquement l’effet comique ou burlesque avec sa coiffure à la Marie Antoinette, sa robe aux textures saturées, ses perles et son manteau rouge en velours, ni seulement une lecture sociologique, économique et psychologique du personnage,  mais il suggère un mélange d’époques

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précédentes, synonyme de la nostalgie d’une gloire achevée dans laquelle elle vit toujours (photo 5). Zero aussi est une représentation de la mélancolie. Il vit dans le passé, la ruine de l’hôtel qu’il garde, et dort toujours dans la chambre de M Gustave duquel il garde un souvenir accroché à sa veste.

L’omission des moments tragiques ne constitue pas un point faible dans l’écriture du film mais un choix délibéré du réalisateur qui souligne l’impossibilité des personnages d’aborder des sujets tabous. Zero ne parle pas de ses traumatismes, qu’il s’agisse de la mort de M. Gustave ou celle de sa femme. Il ne détaille pas ces récits et les aborde en surface : ils lui appartiennent et il n’est pas prêt à les partager. Il ne s’agit pas, pour Wes Anderson, de mettre en place une approche superficielle des sujets mais d’exprimer sa vision sur l’incommunicabilité du personnel.

Dans The Grand Budapest Hotel, il y a assassinat, mort par la fièvre, guerre, exil, fascisme, des doigts coupés, un mariage avec une mort en voix over, un chat jeté par la fenêtre, et beaucoup plus. Le spectateur regarde le film et en sort moins tourmenté qu’un autre qui traite en profondeur des mêmes sujets. L’approche grammaticale du langage de Wes Anderson ainsi que son point de vue instaurent ce qu’on pourrait appeler un euphémisme cinématographique. La phrase prononcée par Zero Mustafa à la fin du film en référence à M. Gustave le dépasse pour atteindre une réflexivité sur le style du cinéaste : endurer l’illusion avec une grâce merveilleuse. L’illusion d’un présent, l’illusion d’un parfum, l’illusion d’une histoire, l’illusion d’une image, et surtout l’illusion d’un euphémisme.

Patrick Tass.

 

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