Critique de Jessica Jones – saison 2

La détective new-yorkaise nous est récemment revenue pour une deuxième saison. Si l’ADN de la série avait déjà de quoi la distinguer de ses « su-pairs héros », cette nouvelle cuvée marque un écart supplémentaire avec les canons Marvel. Surprenant mais maitrisé.


L’histoire de Jessica Jones commence par un accident de voiture qui emporte parents et petit frère. L’opération qui la sauve in extremis de la mort lui confère une force surhumaine qu’elle mettra un certain temps au service du bien commun. Mais ses pouvoirs seront détournés par Kilgrave, un diable de psychokinésie, capable de faire plier n’importe qui à sa volonté. Après s’être libéré de son emprise, Jones troque les collants de super-héroïne pour la panoplie du parfait détective privé : bourrue et misanthrope, du cynisme à revendre, elle n’épargne personne à commencer par elle-même et ce passé douloureux qu’elle noie dans l’alcool. Ses vieux démons n’auront pourtant de cesse de jalonner ses enquêtes et par là-même son chemin vers la rédemption.

En ce début de deuxième saison, Jessica investigue son court mais décisif séjour au sein d’IGH, le mystérieux centre à qui elle doit la vie et ses pouvoirs. Elle est encouragée en cela par son amie Patsy Walker – en mal de sujets forts pour son émission – et secondée par son voisin et récent associé Malcolm Ducasse. Le nouveau concierge de l’immeuble, Oscar Arocho, s’impose vite comme un autre membre clé de son quotidien. De son côté, la redoutable avocate Jeryn Hogarth doit faire face à une maladie dégénérative qui lui laisse moins d’un an à vivre.

JJ castJones entourée de ses alliés, la place de gauche ne restera pas longtemps vacante

La première saison de Jessica Jones profitait du profil atypique de son héroïne et du magnétisme de Kilgrave (le plus glaçant des bad guys made in Marvel). Malgré tout, sa structure narrative restait de facture classique pour une série, et un versus dans la plus pure tradition du genre. Sa successeuse[1] cultive une tout autre ambition – au risque d’y perdre quelques fans – mais qui confère une incroyable résonance à l’œuvre. Voici quatre points détaillant ce hardi virage.

La guerre aux clichés

Première victoire de cette saison 2, l’évitement systématique de quelques gros clichés indésirables. Je m’en tiendrai ici au plus honorable d’entre eux. Hormis l’insistance de Trish, c’est le traumatisme clinique de Jones qui motive son enquête sur IGH. On a alors droit à la totale : le refoulé revenant par flashs, en rêves angoissants d’hôpitaux glauques, d’urgences de couloirs et de salles d’op glacées. Heureusement, ce qui s’annonçait dès lors comme une chasse au vilain docteur adopte rapidement des enjeux autrement plus intéressants dont je vous réserve la surprise.

Tempo piano

Par son postulat de départ, Jessica Jones n’a jamais donné dans la démonstration. Pouvoirs et castagne faisaient l’objet de seulement quelques séquences, la parcimonie renforçant leur impact. La deuxième saison poursuit et accentue cette mise en sourdine. Si bien que les thématiques censées justifier les scènes d’actions deviennent le propos phare de l’œuvre que le grand spectacle habille de temps à autres. Le rythme général s’en trouve ralenti mais, s’il pourra déstabiliser les amateurs de fast et de furious, la série y puise un autre genre d’intensité, renforçant son potentiel immersif. D’un point de vue formel, beaucoup d’effets se jouent à l’échelle du détail mais de telle sorte que la plus anecdotique des scènes peut acquérir une importance et un sens égal aux séquences majeures de la saison. Dans ce ton subtil entre discrétion et efficacité, la musique se love à merveille, de façon feutrée sans pourtant rien céder aux airs d’ascenseur.

JJ MalusJones aux prises avec le Dr. Karl Malus

Une mise à mal des hiérarchies

Une des forces du scénario de cette saison tient à sa mise à mal des hiérarchies narratives traditionnelles. L’absence de « grand méchant » en est le symptôme le plus manifeste. En effet, l’enquête sur IGH ne cristallise pas immédiatement tous les maux de Jessica autour d’une unique et détestable cible. Et quand bien même celle-ci acquiert un nom et un visage, le scénario se garde de toute condamnation manichéenne. La règle s’applique d’ailleurs à bon nombre des personnages (sinon tous), n’en colloquant définitivement aucun dans les sphères proprettes du Bien et du Mal. Et ce parce que la saison s’applique à les suivre assez longtemps pour que leurs moteurs et leurs choix soient non seulement expliqués mais surtout perçus de façon crédible. L’effet est double et saisissant. D’une part, la répartition héros/sidekicks n’a plus lieu d’être parce que toutes les trames se valent même si elles ne convergent pas forcément vers un seul et même but. D’autre part, la série ne compte plus d’anonymes. Le moindre pion a une chance d’être reconnu au-delà de sa fonction. Dès lors, plus aucune scène n’écope du déplaisant statut de filler, et cela confère à la série un degré de réalisme parfois bluffant.

Quid du féminisme ?

Pour cette deuxième saison, Melissa Rosenberg a repris son rôle de « showrunneuse » (le résultat ne contient malgré tout aucune trace de la saga Twilight). Le poste de réal est quant à lui exclusivement assuré par des femmes. Le choix du 8 mars comme date de sortie couronne donc symboliquement une entreprise en grande partie tenue par la gente féminine. Dans un tel contexte de production et de réception, le fait mérite d’être salué. Peut-on parler pour autant d’œuvre féministe ? Il est vrai que la série ne se contente pas de surfer sur la vague du « #metoo » mais elle part de cette problématique pour atteindre la question de la liberté individuelle. Le mec est lui aussi capable d’arrêter une fille prête à le débrailler et plus tard de la prendre dans ses bras malgré son évident saut de la case maquillage. Affranchis des habituels stéréotypes hommes-femmes du cinéma, les forces et faiblesses des personnages – en un mot leur crédibilité – s’en trouvent bien mieux exprimées.

JJ RosenbergMelissa Rosenberg et Krysten Ritter en promotion chez AOL Build

Vous avez demandé un héros ? Pesez bien ce titre honorifique masculin singulier. Vous n’aurez rien de tout ça dans la saison 2 de Jessica Jones. Tout en elle participe au démontage des ingrédients classiques du genre. La « matière Jones » n’est plus montrée pour ce qu’elle est mais bien utilisée pour parler de ce qu’elle veut. Résultat, au bout de trois épisodes, le label rouge et blanc en devient presque hors-sujet tant la série a pu se libérer du but premier d’une œuvre super-héroïque. Le cas n’est bien sûr pas isolé dans la Maison des idées mais Jessica Jones est la seule de ces productions qui a réussi à ce point à faire primer ses enjeux sur sa fonction de pur divertissement. N’en déplaise à certains, j’y vois personnellement une belle avancée sur les habituels étalons sous stéroïdes de l’écurie Marvel.

 

Baudouin Bryssinck


[1] Prière d’oublier le revers des Defenders.

 

Date de sortie 08/03/2018
Nationalité Américaine
Créateurs du personnage Brian Michael Bendis et Michael Gaydos
Showrunner Melissa Rosenberg
Genre Policier – drame – fantastique
Avec (par ordre alphabétique) Eka Darville, Leah Gibson, Janet McTeer

Carrie-Anne Moss, J. R. Ramirez, Callum Keith Rennie Krysten Ritter, Rachael Taylor

Musique Sean Callery
Nombre d’épisodes 13