W. d’Oliver Stone | Un chemin idiosyncrasique

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cycle "Stars, Stripes and Politics". 

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Depuis toujours l’actualité représente un vivier inépuisable d’expression artistique. Le cinéma, aux Etats-Unis, n’est pas une exception. Voilà plus d’un siècle que la vie américaine se retrouve dépeinte au cinéma. Certaines facettes de cet « Americain Way of Life » sont plus souvent exploitées que d’autres : c’est le cas de la vie politique américaine. L’identification à une personnalité politique semble plus facile que celle à une idée politique, à un concept. Cette année est particulière vu qu’il s’agit d’une année d’élections présidentielles à la Maison Blanche. Il ne faut pas non plus négliger l’aspect rocambolesque des campagnes présidentielles aussi bien dans le camp républicain que démocrate. C’est pourquoi les biopics ont le vent en poupe. La première rencontre ainsi que la naissance de l’amour qui unit Barack Obama et Michelle Robinson (« First Lady ») depuis 24 ans constituent le fil conducteur du film de fiction Southside with you (Richard Tanne, 2016) – présenté au festival de Sundance en 2016 et constitue un vif succès critique. Plusieurs films de fiction et de documentaires relatent aussi certains aspects relatifs aux élections imminentes . Le documentaire politique médisant le parti démocrate et Hillary Clinton, Hillary’s America: The Secret History of the Democratic Party (Dinesh D’Souza et Bruce Schooley, 2016). Dinesh D’Souza, écrivain, commentateur et conservateur, réalisa quatre ans plus tôt Obama’s America – critiquant véhément la campagne de Barack Obama en 2012. Quant à Oliver Stone, il propose sa vision d’Edward Snowden qui scandalisa le monde par ses déclarations concernant la surveillance globale (Snowden, 2016). Michael Moore, fidèle à lui-même, ne pouvait résister à puiser de nouveau dans les dysfonctionnements des Etats-Unis, terreau abondant d’expressions cinématographiques – dans Where to Invade Next (2016) il visite différents pays et propose des solutions « à l’américaine » à leurs problèmes.

Le présent article propose une analyse du long-métrage W., réalisé par Oliver Stone en 2008. Le réalisateur dresse un portrait peu flatteur du 43ème président des Etats-Unis : inexpérimenté, se croit être l’élu de Dieu qui va purger le mal au Moyen-Orient (et assoir la domination américaine), toujours en conflit avec son père qui préfère son frère Jeb.

Le réalisateur n’est pas à son coup d’essai en la matière : en 1991, son film JFK aborde la remise en cause de la Commission Warren par Jim Garrison (procureur de la Nouvelle-Orléans) et du journaliste indépendant Jim Marrs, qui prônent la possibilité de la théorie du complot. Le film fut l’objet d’un tollé saisissant. En 1995, le président Nixon est l’objet central du film du même nom Nixon dans lequel, Stone raconte les années de présidence de Nixon, avec l’affaire du Watergate comme pilier narratif. D’une nature réactionnaire et provocatrice, les dysfonctionnements du monde – et particulièrement aux USA – lui sont des sujets de prédilections – par exemple sa trilogie sur la guerre du Vietnam : Platoon (1986), Born on the Fourth of July (1989) et Heaven and Earth (1993).

CINEMATEK, à travers le cycle « Stars, Stripes and Politics », propose différents films touchant à la politique américaine : The Manchurian Candidate (John Frankenheimer, 1962) ; la campagne de JFK contre Humphrey dans le documentaire Primary (Richard Leacock et Robert Drew, 1960) ; le biopic : Nixon (Oliver Stone, 1995) et la satire politique (A Face in the Crowd, Elia Kazan, 1957). Il s’agit d’une occasion immanquable de (re)découvrir les différentes approches d’auteurs de la politique américaine à travers les décennies afin d’aborder les élections présidentielles de novembre avec un « certain regard ».

W. d’Oliver Stone (2008)

Un homme incapable et peu professionnel

Dès le début du film W., Stone donne le ton : George W. Bush, en pleine réunion dans le bureau ovale avec ses conseillers concernant une éventuelle guerre en Irak, ne sait pas se décider, il est approximatif et ne semble pas maitriser le sujet. Son administration le guide dans ses décisions, voire le pousse à en prendre certaines. Il ne serait qu’un texan avec de grandes idées mais sans connaissance du terrain et qui se laisse très souvent influencer. Cette idée est effrayante car cet homme voit le monde de façon simpliste : les Américains sont les gentils (particulièrement les Républicains) et le Moyen-Orient représente le foyer du terrorisme – principalement l’Iran. Les autres nations ne font que parasiter et ralentir ses ambitions – il suffit d’entendre Bush parler de l’ONU pour se faire une idée sur sa vision des relations internationales). Par exemple, lors de la scène terrifiante d’explication du projet de domination des USA sur le Moyen-Orient par Karl Grove, le très proche conseiller et stratège du président, Bush n’en a cure des autres. Il accepte sans broncher le plan.

L’élu de Dieu

Stone fait de Bush un homme persuadé qu’il est le messager de Dieu et que ce dernier lui demande de s’engager en politique et d’œuvrer en son nom. A deux reprises, le film explicite cette « destinée » : le jour de son anniversaire, un élu républicain annonce sa retraite. George W. y voit un signe : Dieu veut qu’il s’engage en politique.

Alors qu’il est gouverneur du Texas, il déclare à une vieille connaissance – un révérend – que Dieu lui a parlé : il doit devenir président.

Stone enfonce encore le clou lors d’une scène décisive mais cette fois-ci de manière esthétique : Bush vient de donner son accord pour engager l’ennemi en Irak. La caméra se rapproche du visage de l’homme en contre plongée. Bush a les yeux fermés, le visage solennel. Derrière lui, les néons des lampes lui entourent la tête comme une auréole.

A la toute fin du film, alors que Bush répond à la volonté de Dieu (devenir politicien et président), l’écran devient noir et apparait en blanc une croix qui se transforme en « W. » . Niveau symbolique, difficile de faire plus explicite. Dans sa tête, le texan ne fait que suivre les consignes de Dieu le rendant presque fanatique. Ce qui est le plus effrayant est peut-être son administration : chaque membre, convaincu de la légitimité de leur président, l’encourage dans sa croisade contre le terrorisme (et par extension contre ceux qui ne partagent pas l’« American Way of Life »). Seul Colin Powell, secrétaire d’état durant cette période, est nuancé. Cependant, il finira par se ranger auprès des autres.

Le Junior et le Senior

George W. Bush est avant tout un homme. Stone recourt donc à de longs flashbacks pour expliquer d’où il vient, sa famille, son contexte socio-culturel mai surtout l’influence de son père qui sera président des Etats-Unis. Le jeune George ne pense qu’à faire la fête, courtiser les filles. Il est constamment une déception pour son père qui le veut plus sérieux, plus engagé et surtout qu’il participe à la grandeur du nom Bush. Stone représente W. comme un incapable qui a toujours besoin de son influence pour se sortir d’affaire, pour entrer à Yale, etc… Georges Senior n’en peut plus et va jusqu’à dire à son fils qu’il n’est pas un Kennedy et que dans la vie il faut travailler.

Oliver Stone présente un homme profondément marqué par ce que son père pense de lui. Même lorsque le fils devient à son tour président des Etats-Unis et prend la décision cruciale d’envahir l’Irak, il partagera publiquement son veto par l’intermédiaire d’un journaliste.

Leur relation pourrait-être réduite à, d’un côté, un père dominant, doué et constamment déçu par son fils ; et de l’autre un fils impertinent. Il veut prouver à son père ce qu’il n’est pas car il n’a pas les capacités et qu’il se trompe en croyant bien faire. Le problème –il est effrayant – réside dans le nom « Bush ». Le père et le fils furent présidents des Etats-Unis, le premier avec plus de succès tandis que le deuxième connu plus d’échecs. Les enjeux sont d’une ampleur magistrale.

Les surnoms utilisés contribuent à renforcer la relation dysfonctionnelle entre le père et le fils : ce dernier est réduit à une lettre W. (ou alors à « Junior ») tandis qu’il appelle son père Poppy et ce même lorsqu’il est adulte. Le fils reste le fils et le père reste le père, quel que soit l’âge ou le statut

Pour résumer la vision d’Oliver Stone sur George W. Bush, il est un homme rongé par les succès, la personnalité et la déception de son père envers lui. Dieu serait son sauveur et l’aide à gravir les échelons pour prouver à son géniteur sa capacité à prendre des décisions, à avoir des responsabilités et de penser aux autres (seulement aux Américains). Cependant, sa fonction (de président) le surpasse et il a recours sans cesse à ses conseillers qui partagent les mêmes opinions. Le réalisateur enrobe cette relation père-fils par une bonne dose de chansons traditionnelles du sud des Etats-Unis, par des paysages de la nature américaine, les barbecues, sa femme comme une bonne épouse ce que je nomme justement dans cet article l’ « American Way of life ». Bref Stone stéréotype encore plus Georges W. Bush comme une certaine vision fantasmée de l’Amérique en recherche constante d’approbation.

Pierre Gilliquet