Ciné-concert « Les Premiers, les derniers » (Interview de Catherine Graindorge)

Interview de Catherine Graindorge

violoniste du ciné-concert
« Les Premiers, les Derniers » de Bouli Lanners

(Les Nuits Botanique)

Nos lecteurs assidus se souviendront peut-être que notre critique du nouveau film de Bouli Lanners, parue plus tôt cette année, se terminait de manière ambiguë. Nous y posions la question du public à atteindre et de l’impact qu’aurait le film au sein d’une distribution large. Une semaine d’exploitation seulement plus tard, “Les Premiers, les Derniers” n’a pas déstabilisé le box-office, suivant le schéma habituel des productions belges francophones. Heureusement pour les cinéphiles, le film sera ressuscité de son parcours salle pour un événement un peu spécial, un ciné-concert durant lequel la musique du film sera jouée en direct pendant la projection. L’occasion de découvrir l’oeuvre de Bouli Lanners de manière originale.

Nous avons interviewé Catherine Graindorge, violoniste soliste de l’événement et ancienne collaboratrice du compositeur, Pascal Humbert. La discussion, l’échange, démarre autour d’un thé glacé et d’une eau pétillante.

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T.V.D.: Dans votre parcours, vous avez été amenée à toucher un peu à tous les types de performance (musique, théâtre et cinéma), quel est votre rapport particulier avec le 7e art ?
C.G. : Peu importe l’art, je fonctionne avec mes émotions. Cela peut être un avantage comme un inconvénient. Dans le cas du cinéma, j’ai tendance à ne pas retenir les histoires des films mais plutôt les images et mes sensations. Le fait d’avoir pratiqué autant la musique que le théâtre m’amène aussi à avoir un rapport dedans dehors avec le medium. Je peux rassembler les choses dans une sorte d’entre-deux réceptif.

T.V.D. : Conséquemment, quelle est votre approche de la musique de film en général ?
C.G. : J’ai récemment composé des musiques pour deux longs métrages qui sortiront prochainement (“Ouragan”). Avant, j’ai eu la chance de jouer en tant que soliste à la Cinematek pour accompagner des films muets. Fondamentalement, le film doit être organique et la musique doit s’insérer dans ce tout avec les autres sons, les bruits, les mots…

T.V.D. : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la bande originale du film de Bouli Lanners ?
C.G. : Je sais que Bouli aimait beaucoup l’univers de Pascal, via l’album “Felt” notamment. Tout s’est un peu articulé sur le morceau “One bear with me” avec l’appui des images bien sûr. Dans le film, la musique intervient vraiment quand les mots disparaissent, quand ils ne suffisent plus pour exprimer des concepts inexplicables. Il y a quelque chose de très profond dans cette utilisation parcimonieuse mais juste.

T.V.D. : Dans quel processus artistique s’inscrit le concert ? La musique sera-t-elle identique à celle du film sorti en salles ?
C.G. : Pascal a pratiqué un remixage partiel, notamment pour la musique du générique. Nous aurons quatre jours de répétitions intenses avant la représentation (NDLR : l’interview a été réalisée une semaine avant l’événement). Comme Pascal voulait laisser partiellement la place à l’improvisation, c’est un artiste qui fonctionne beaucoup à l’instinct, il a fait appel à des musiciens qu’il connaissait pour partager son univers. Pour moi en tout cas il faut pouvoir adapter aux conditions d’une expérience live tout en respectant les choix du réalisateur afin de garder l’essence du film intacte. C’est un challenge excitant.

T.V.D. : Avez-vous vu le film avant de travailler dessus ?
C.G. : Oui…

T.V.D. : Quel a été votre ressenti à la fin de la séance ?
C.G. : J’ai beaucoup aimé. Dans son côté road movie, le film a quelque chose de mystique, proche de la nature et des éléments. Les images et les silences sont magnifiques. Les décors reflètent bien l’univers surréaliste typiquement belge dans lequel on se trouve. Finalement, l’intrigue est presque secondaire : ce qui me touche c’est le rapport métaphysique du personnage de Bouli avec la mort. C’est un film proche de l’humain. Pourquoi on est là ? Une réplique du film m’a particulièrement interpellée, celle du personnage de Michael Lonsdale qui dit : “vivre ce n’est pas seulement respirer”… C’est des matières à créer de la musique.

T.V.D. : Un moment musical vous a touché ?
C.G. : La chanson titre arrive au moment clé des retrouvailles des protagonistes et avec la voix de Bertrand Cantat, il se passe toujours quelque chose. C’est un artiste tellement entier que son interprétation provoque quelque chose de viscéral, ça prend aux tripes. Cette chanson ouvre complètement le spectre du film.

T.V.D. : Vous avez évoqué plus tôt le surréalisme à la belge. Pour vous, il existe une identité artistique belge ?
C.G. : Nous vivons dans un pays éclaté, morcelé mais il existe une forte identité belge qu’on perçoit très fort quand on est en contact avec l’étranger. On ne se prend pas au sérieux en général. On est simples et directs dans nos rapports avec les autres. Mais le mot même de nationalité est délicat de nos jours. Moi je parle d’un état d’esprit et ça transpire dans la musique et dans la cinéma. Il y a une ouverture artistique incroyable chez nous, notamment en Flandres. Il y a aussi moins de moyens et d’argent mais on a la capacité de faire de belles choses malgré tout. C’est petit mais ça bouge, il existe une ébullition artistique chez nous.

T.V.D. : Enfin, pour revenir au ciné-concert, quelle sensibilité personnelle allez vous essayer d’apporter à la performance générale ?
C.G. : Il y a peu, j’ai perdu mon papa. J’ai décidé d’écrire un spectacle sur les 15 derniers mois de sa vie en mélangeant les mots, la musique et les images. Ce film et cet événement sont arrivés à un moment où j’étais complètement ouverte aux questionnements que Bouli pose sur la vie, sur la mort, la transmission. Je pense que c’est ce qui m’animera également pendant le concert…

Interview réalisée par Thomas Van Deursen


Ciné-concert du film : « Les Premiers, les Derniers » de Bouli Lanners
17 Mai 2016 au Cirque Royal
dans le cadre des Nuits Botanique
avec en guest : Bertrand Cantat

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