The Commune (Kollektivet): Make love, not war

The Commune (Kollektivet) de Thomas Vinterberg

Make love, not war

Le réalisateur danois (Festen 1998, Jagten 2012) et co-fondateur du mouvement Dogme 95 signe un retour au pays après une excursion réussie du côté anglophone avec Far From the Madding Crowd (2015), une co-production anglo-américaine. Kollektivet plonge à la fois le spectateur dans l’ambiance de l’époque des collectivités hippie et s’inscrit dans la continuité filmographique de Vinterberg. Loin des mouvements revendicateurs brandissant pancartes et slogans, les conflits interpersonnels dominent ce long-métrage et livrent un aperçu davantage intimiste d’une époque cherchant à bouleverser nos modes de vie.

Kollektivet raconte les bouleversements d’un couple de quadragénaires dans le contexte des années septante et de la génération « Peace and Love ». Erik (Ulrich Thomsen), professeur d’université (en architecture, ce n’est pas un détail anodin) hésite à préserver sa demeure familiale pour des raisons financières et spatiales – la maison lui paraissant trop impersonnelle. Son épouse Anna (Trine Dyrholm), une présentatrice télé connue et avant-gardiste, lui suggère de fonder une « collectivité » faite d’amis et de connaissances intéressantes. Elle convainc Erik bien que ceci va à l’encontre des principes de ce dernier…

Vu l’afflux ces dernières années de films et surtout de biopics nostalgiques de l’ère hippie, Kollektivet ne parait être qu’un long-métrage de plus surfant sur cette vague. Pourtant, Thomas Vinterberg aborde le sujet avec un regard à la fois plus intimiste et plus neutre. Le réalisateur danois portraitise l’esprit d’une époque par la diversité des points de vue, notamment le contraste entre l’euphorie, la liberté sexuelle et sa contrepartie, le besoin d’attention. Ainsi, le cinéaste alterne scènes chorales comiques et moments d’introspection tendus, avant de faire fusionner espace individuel et collectif dans un lieu d’ultime conflit. Cette approche à l’échelle microcosmique – le long-métrage n’effleure que ponctuellement des problématiques globales telles que la guerre du Vietnam – découle vraisemblablement de l’enfance du cinéaste qui déclare fièrement dans des entretiens avoir grandi dans une communauté et rester fasciné par la verve de cette génération.

L’optique intimiste de ce long-métrage basé sur une pièce homonyme du même Vinterberg repose sur l’espace. La maison ne constitue pas uniquement le point de départ de l’intrigue ou l’enjeu dramatique, mais fait office de figure centrale. L’habitat reflète les évolutions des rapports humains, et en particulier la claustrophobie psychologique grandissante d’Anna, pionnière et prisonnière de ce type de foyer se réfugiant dans l’ancienne demeure de campagne du couple. La dispute conjugale au début à propos de la donnée spatiale fonctionne par ailleurs – hormis la musique – comme une prémisse des péripéties futures, posant la pomme de discorde. Le foyer domestique détient un caractère schizophrène, étant à la fois le lieu d’accueil chaleureux des uns et la prison des autres. A l’instar d’autres oeuvres de Vinterberg,  telles que Festen (1998) et l’esthétique des fluides ou la donnée métérologique dans Far From the Madding Crowd (2015), les personnages de Kollektivet et leurs relations évoluent en parallèle avec leur environnement. La défaite vietnamienne marque le déclin définitif de cette génération comme le souligne Steffen (Magnus Millang), colloque et père du garçon cardiaque. Son fils subit une crise par déficit d’amour en symbiose avec la mort de cette contre-culture. La fin et plus précisément la déclaration d’amour de Freya (Martha Sofie Wallstrøm Hansen) résonnent dès lors avec mélancolie comme une résurrection manquée de la société.

Au fur et à mesure que les liens interpersonnels se dégradent, champs et contrechamps semblent s’espacer, se dilater. Si au départ la caméra passait aisément d’un plan d’ensemble dévoilant au spectateur l’emplacement précis des personnages dans l’espace « familial » à un gros plan sur l’un d’eux, elle apparait plus hasardeuse par la suite, par exemple lors du repas de Noël, comme si elle se faisait la porte-parole du flou émotionnel. La maison représente également un lieu d’éternel retour, de cycle.  

Vinterberg ne se contente pas de satisfaire un cliché sex, drugs and rock’n roll, mais fidèle à sa filmographie, soulève des conflits interpersonnels et questionne le paradoxe d’une génération prônant le changement par le détachement. Bien que le réalisateur insiste lui-même sur le fait que l’intention était avant tout de capter l’esprit de l’époque et que souvent la maison anime les actions et les réactions, son film laisse aussi la place aux personnages, et notamment au dialogue entre les deux femmes – épouse et maîtresse (Helene Reingaard Neumann). La ressemblance entre Anna et Emma (voire l’homophonie) soulevée par les personnages eux-mêmes (« tu as les yeux bruns ») couplée à la différence d’âge n’échappe pas au spectateur. Il faut pourtant tenter d’y voir plus que l’acte d’adultère ou le destin stéréotypé de l’épouse; Vinterberg expose plutôt un conflit générationnel, les répercussions des décisions souvent courageuses d’une génération révoltée sur elle-même, la génération qui la précède ainsi que sur celle qui la suit.

Ainsi, Erik, un homme de principes, est le premier à succomber aux tentations d’une nouvelle réalité, alors qu’Anna, prônant autrefois les prouesses du (re)nouveau, se retrouve en chute libre tant au niveau professionnel que personnel. Allon (Fares Fares), un étranger timide et particulièrement émotionnel parvient dans cette fraternité apparente à sortir de son cocon, et les défenseurs d’une sexualité débridée (Lars Ranthe & Julie Agnete Vang) optent finalement pour une vie de couple posée.

L’actrice Trine Dyrholm, connue aussi bien du petit que du grand écran, a obtenu en février l’ours d’argent de la meilleure actrice à la Berlinale. Dyrholm, dans un double jeu sous le feu des projecteurs – présentatrice/actrice – trouble et intensifie la réception du spectateur et contribue au style typique du réalisateur scandinave : sobriété formelle, rythme nerveux, jeu d’acteur réaliste bien qu’à fleur de peau. Le cinéaste torture physiquement et psychologiquement son personnage, lui ôtant successivement toutes les couches de perfection d’une parfaite businesswoman et d’une mère de famille émancipée. Vinterberg axe son film sur son actrice et sur le personnage féminin fort qu’elle incarne. Toutefois, même au sens large, le public retient des personnages diversifiés et résolument modernes, indépendamment du cadre temporel particulier. Vinterberg ne semble pas concevoir ses personnages selon des « types », au contraire. Ses personnages, la femme cocue dépressive et vaillante, la jeune amante désorientée mais lucide, la libertine romantique, ou la fille modèle effrontée, évoluent au-delà des clichés. En dépit de cet effort, le public regrette momentanément que les rôles secondaires prometteurs restent souvent contemplatifs procurant un sentiment d’inachevé vraisemblablement dû à cette multiplicité de caractères.

Petite pépite pour la fin et pour le cinéphile averti : la première tenue d’Emma, la maîtresse d’Erik, n’est pas sans rappeler le look d’un des grands sex-symboles des années soixante dans un film emblématique de la Nouvelle vague française.

Mara Kupka

Titre : Kollektivet (basé sur la pièce du même nom écrite par Thomas Vinterberg et Tobias Lindholm)

Réalisation : Thomas Vinterberg

Interprétation : Trine Dyrholm, Ulrich Thomsen, Helene Reingaard Neumann, Lars Ranthe, Fares Fares, Martha Sofie Wallstrøm Hansen

Genre : Drame

Durée : 111 minutes

Date de sortie: 13 avril 2016