Demolition: Détruire pour mieux construire

 Demolition de Jean-Marc Vallée

Détruire pour mieux construire

Une maman élevant seule un enfant trisomique dans Café De Flore (2011), un texan homophobe se découvrant atteint du VIH dans Dallas Buyers Club (2013), une ex-junkie parcourant l’ouest des États-Unis avec son sac à dos pour seule compagnie dans Wild (2015)… En terme de divertissement,  les films de Jean-Marc Vallée ont, sur le papier, moins d’arguments convaincants qu’un vendredi soir à jouer au Scrabble avec son chat pour séduire.

Pourtant, il suffit d’aller au-delà de ces apparences de drames sociaux dardenniens pour se rendre compte que les oeuvres du réalisateur québecois ont le don d’apporter une dose de joie de vivre et d’espoir aux moraux les plus bas. En effet, armé d’un ton réaliste d’une main et d’un humour léger de l’autre, Vallée excelle pour accompagner ses personnages sur un chemin spirituel afin de libérer progressivement ces derniers de leurs démons intérieurs. L’occasion pour le spectateur d’entrevoir la vie comme elle peut être parfois : meilleure. Demolition ne fait pas exception à la règle.

Un mariage stable, une carrière réussie, un compte en banque rempli, telle est la vie de Davis Mitchell (Jake Gyllenhaal), incarnation vivante du rêve contemporain. Un jour, Julia (Heather Lind), sa femme, meurt brutalement dans un accident de voiture. Transporté à l’hôpital, le jeune veuf va devoir affronter le pire lorsque le paquet de “Peanuts M&M’s” dans lequel il investit un dollar reste bloqué dans la machine. Les funérailles de Julia touchant à leur fin, Davis décide de s’isoler afin d’écrire une lettre à Karen Moreno (Naomi Watts), responsable clientèle de la compagnie de distributeurs… L’occasion pour lui de se questionner sur sa difficulté à ressentir quoi que ce soit suite aux récents événements.

Demolition arrive à allier inattendu et simplicité. Doté de répliques qui en feront mourir de rire plus d’un, le scénario signé Bryan Sipe souffre néanmoins d’une structure désorganisée. A force de vouloir bien faire, le film finit par partir dans tous les sens, au point où plusieurs intrigues ou personnages secondaires se retrouvent sous-exploités voire perdus en cours de route. Même s’il ne devrait pas mettre en péril le plaisir du spectateur à regarder Demolition, ce côté fourre-tout peut lui attribuer l’illusion d’être ce qu’il n’est pas. L’occasion de démolir les aprioris possibles sur ce film.

Demolition n’est pas un film sur la mort

Il ne faut pas moins de deux minutes à Jean-Marc Vallée pour transformer son spectateur en témoin d’un accident de route mortel. A partir de cet instant, tout s’enchaîne : l’attente à l’hôpital, l’annonce aux familles ou encore l’enterrement sont expédiés très rapidement grâce à un  montage tant incisif que déroutant.

Demolition n’est pas un de ces films prêts à tout et n’importe quoi pour arracher une larme à son public. La mort fait davantage office d’événement révélateur du mal-être de Davis  que de déclencheur. Très vite, un décalage apparaît entre le protagoniste et son entourage explicitement bouleversé par le décès de Julia, offrant par la même occasion les moments les plus drôles du film.

Demolition n’est pas une comédie romantique

Jake, Naomi, un personnage fraîchement veuf face à une maman enfermée dans un couple sans amour, une relation épistolaire comme lien de départ : le cadre était parfait pour LA comédie romantique américaine de l’année.

Il ne s’agit que d’un leurre. Malgré l’alchimie incontestable entre Watts et Gylhenhaal, le personnage de Karen, en plus de n’être que secondaire, sert  davantage d’intermédiaire entre Davis et la rencontre qui contribue véritablement à son évolution.

Non seulement fier d’éviter de tomber dans ce piège, Vallée va plus loin au cours de la première partie du film en transportant son public impuissant dans une véritable parodie de You’ve Got Mail de Nora Ephron (mais si, ce film de 1998 où Tom Hanks et Meg Ryan se tournent autour sur internet pendant une heure et demie avant d’enfin sauter le pas). Impression qu’il détruit en deux secondes pour le plus grand soulagement de tous.

Demolition n’est pas un film sur la démolition

Le titre bourré de testostérone pourrait à lui seul induire en erreur : non, Demolition n’est pas un film où Bruce Willis et Sylvester Stalone s’amusent à exploser tout ce qui les entourent.

Demolition rime plutôt ici avec reconstruction. Celle d’un être humain qui n’arrive plus à se sentir comme tel. Partant d’un frigo qui fuit comme point de départ, Davis va se découvrir une passion non dissimulée à détruire cet univers qui l’étouffe…littéralement. Entre marteau et bulldozer, la maison moderno-design du début n’aura que très peu de chances de s’en remettre.

Cette pulsion destructrice ne recouvre finalement qu’une légère partie du film et ces scènes de massacres immobiliers ne sont utilisées de manière ni gratuite ou abusive.  

Mais alors, Demolition c’est quoi ?

Demolition, est le miroir déformant d’une société talk show : celle qui affiche ses larmes sur un canapé en suivant scrupuleusement les sept étapes de deuil tel un catalogue IKEA d’un côté pour empocher un chèque de l’autre.

Amputez toute cette hypocrisie et vous obtiendrez le personnage de Jake Gyllenhaal : jeune comptable programmé toute sa vie pour être efficace à son entreprise et qui du jour au lendemain se retrouve face à un entourage exigeant qu’il se “laisse aller”.

Loin de regarder cette société avec un regard moralisateur, Jean-Marc Vallée va plutôt l’obliger à s’assumer telle qu’elle est, elle et son penchant pour la violence. Le tout sans le moindre filtre donnant ainsi un résultat on ne peut plus jouissif et libérateur.

Un casting trop parfait

Comme à son habitude depuis Dallas Buyers Club, Vallée s’entoure ici d’un casting cinq étoiles déniché sur les tapis rouges d’Hollywood. Il faut dire que le réalisateur québecois a très vite su s’imposer comme le nouveau meilleur ami des acteurs populaires en quête de statuettes.

Au top de sa carrière depuis Prisoners de Denis Villeneuve (2013), Jake Gyllenhaal relève haut la main le défi imposé par son rôle : jouer l’indifférence sans jamais ennuyer. L’éternel Donnie Darko redouble d’énergie et montre un visage différent que celui présenté dans les compositions sombres et noires auxquelles il avait habitué le public ces dernières années. L’acteur serait d’ailleurs un des meilleurs candidats en lice pour succéder à Leonardo Di Caprio dans le rôle très convoité de “Damn it, just give him an Oscar”!

Cependant, une question inévitable, déjà apparue vis-à-vis de Reese Witherspoon dans Wild, se pose : les films de Jean-Marc Vallée ne seraient ils pas mieux servis par des acteurs à la popularité plus confidentielle ?

En effet, si un fil rouge devait se dégager des œuvres du réalisateur montréalais, ce serait sans aucun doute ses protagonistes incompris, torturés et rejetés par la société. Sans pour autant les excuser, Vallée aspire à rendre ces personnages accessibles auprès du spectateur afin d’impliquer ce dernier dans les destins atypiques qu’il présente dans ses films. Faire appel à des acteurs connus par le public n’aurait-il par pour effet contraire de creuser le fossé ?

Preuve en est avec la révélation du film : Judah Lewis. Loin de l’emploi tête à claques d’usage pour les rôles de pré-adolescents au cinéma, le jeune acteur livre ici une interprétation pleine d’assurance et de fraîcheur rendant son personnage intéressant au point d’en éclipser le protagoniste. Sa storyline n’est d’ailleurs pas sans rappeler C.R.A.Z.Y. (2005), film qui reste à ce jour le plus authentique et personnel de Jean-Marc Vallée.

Robin Fourneau

Titre : Demolition

Réalisation : Jean-Marc Vallée

Interprétation : Jack Gyllenhaal, Naomi Watts, Chris Cooper, Judah Lewis, Heather Lind

Genre : Dramédie

Date de sortie : 6 Avril 2016

Trailer:  https://www.youtube.com/watch?v=XW8V_LBNdBM