The Raid : Redemption | analyse

The Raid : Redemption

La danse de la violence

Dès les premiers instants de The Raid : Redemption, le réalisateur gallois Gareth Evans présente deux des éléments les plus importants de son récit : la violence et le temps. Tout d’abord, cela se traduit à travers la composante sonore, les bruits du mécanisme d’une montre se faisant entendre. Ensuite, le premier plan visuel nous dévoile un insert d’une arme à feu accompagnée d’une montre, posées sur une table. Ce postulat permet d’introduire directement l’importance de la violence et du temps dès le début de la narration.

Le bref prologue du long-métrage indonésien sorti en 2011 présente brièvement le protagoniste, Rama (interprété par Iko Uwais), en présence de sa femme enceinte. Il permet d’exposer les principaux objectifs du personnage : survivre pour rejoindre sa femme et son enfant, et ce que le spectateur comprend plus tard, ramener son frère qui, contrairement à lui, est devenu un voyou. Après le titre du film, on retrouve Rama au sein de la troupe d’élite dans laquelle il travaille. Un autre objectif, collectif désormais, apparaît : il est impératif d’éliminer Tama, le chef de gang, à tout prix.

Une brève présentation des antagonistes prend ensuite place. Ils effectuent alors la première démonstration de pure violence. Tama exécute quatre hommes, d’abord à l’aide d’un revolver, puis avec un marteau. Le but est en l’occurrence de montrer à quel point les antagonistes sont cruels et sans aucun scrupule. Arrivé à l’immeuble, le commandant de la troupe de policiers d’élite semble prendre conscience de l’énorme tâche à accomplir. Esthétiquement, le cinéaste dévoile l’immeuble délabré en contre-plongée, accompagné d’une musique extra-diégétique augmentant la tension. Il apparaît au spectateur comme une incarnation du mal.

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La suite du film, présentant des fils scénaristiques assez simplistes, dévoile le parcours des policiers dans l’immeuble, d’étage en étage. L’intérêt du dispositif du huis clos résonne ici dans la référence au jeu vidéo. Chaque étage rappelle un « niveau » de jeu, à chaque fois supérieur en difficulté. L’entrée dans les différents appartements des particuliers évoque des « tableaux », ressemblant à différents mondes et proposant des enjeux de plus en plus importants. Du côté des personnages, certains policiers et sbires de Tama meurent parfois avec une facilité déconcertante, et ce en très grand nombre. D’autres, plus résistants, comme Rama ou Mad Dog, semblent posséder une « barre d’énergie » ou « barre de vie » diminuant au fil du temps, comme dans certains jeux vidéo. Cette barre de vie stagne parfois, sans raison, afin de permettre aux protagonistes de survivre plus longtemps. Ils paraissent également avoir des dons d’invincibilité ou de force prodigieuses dans certaines scènes de combat ahurissantes.

La musique accompagnant la fiction (composée par Mike Shinoda et Joseph Trapanese) permet d’équilibrer le rythme et la dynamique durant tout le film. Effectivement, elle suit les personnages d’étage en étage, augmentant ou diminuant la cadence et le volume en fonction de l’intensité de chaque scène. Ainsi, durant les scènes de combat, elle prend une place indispensable, tout en laissant assez d’espace sonore aux autres bruitages tels que les cris de douleur ou les craquements d’os brisés notamment causés par le Pencak-Silat. Méconnu du grand public, cet art martial indonésien est un art de combat qui repose sur la vitesse, la souplesse et la fluidité dans l’exécution des techniques.

Le réalisateur propose également au spectateur de s’immerger de façon très intense dans la narration grâce à la composante sonore. On peut par exemple évoquer la scène où un policier se prend une balle près de l’oreille : l’espace sonore est alors envahi par un son très aigu, assourdissant, permettant l’adoption d’un point de vue subjectif pour le spectateur.

L’immersion participative du spectateur existe également grâce à l’utilisation de la caméra portée. Elle accompagne en effet les policiers d’étage en étage, s’adapte à leur niveau. Par exemple, durant une scène de combat, elle saute à la suite des policiers dans le trou réalisé à la hache dans le plancher. La conséquence est alors pour le spectateur de se retrouver complètement immergé dans les scènes d’action, l’impliquant davantage dans la fiction. La vitesse du montage et la précision de la mise en scène laissent peu de possibilité au spectateur de reprendre son souffle. Les rares dialogues permettent néanmoins de respirer quelque peu entre deux scènes d’extrême violence. Il y a en effet d’énormes contrastes entre les moments de pure action et les moments de stase, les bruits très intenses et les silences très brefs.

Cette plongée dans la violence prend également existence grâce au procédé du huis clos et à l’utilisation de l’espace en général. Rapidement enfermés dans l’immeuble, les policiers n’ont d’autre choix que de continuer à avancer. Leur évolution dans l’espace est alors régie par le besoin de survie et l’urgence du mouvement, très peu de répit leur étant laissé. Le cinéaste se sert à très bon escient de la profondeur de champ, principalement dans les couloirs de l’immeuble, afin d’utiliser tout l’espace disponible et augmenter la perspective notamment grâce à la courte focale. On peut également remarquer une utilisation singulière de l’espace et des infrastructures comme moyens de blesser ou de tuer. Les murs, les portes, les fenêtres, les meubles, ainsi qu’un frigo, tout est potentiellement utilisable comme arme. On peut par exemple évoquer la mort d’un personnage par l’utilisation d’un cadre d’une porte brisée.

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Au niveau des personnages, on retrouve évidemment le héros, représenté par le protagoniste, Rama. Il est très vite présenté comme tel, lorsqu’il protège un habitant de l’immeuble de son commandant violent. Cet acte prépare d’ailleurs une autre scène où l’homme le sauvera en lui ouvrant sa porte. Un personnage très ambigu est le lieutenant Wahyu, présent dès l’arrivée de la troupe dans l’immeuble. Le spectateur comprend plus tard qu’il est corrompu et que ses supérieurs n’ont pas connaissance de cet assaut, empêchant d’ailleurs la venue de renforts. L’ambiguïté est levée lorsqu’il tue un de ses policiers et prend en otage Tama afin de sortir vivant de l’immeuble. Sa lâcheté le poussera à assassiner le chef de gang et à tenter de se suicider.

La notion de mort, très présente dans le film, est notamment régie par la mise en scène et l’esthétique du cinéaste. Le temps reprend alors son importance et y est fortement lié. L’importance de la mort des personnages est ainsi gérée par leur rythme dans leur scène respective. L’une des morts les plus choquantes est celle concernant un enfant et se produisant durant le début du récit. Les policiers, arrivés au cinquième étage, sont surpris par un jeune garçon. La scène est alors traitée en alternance entre durée de temps normale et effet de ralenti. Le ralenti permet au spectateur de prendre toute la mesure et la gravité de la situation.

Par contre, peu après le message au haut-parleur du chef de gang, les habitants de l’immeuble sortent de chez eux et viennent combattre les policiers. L’apparition d’une faible lueur causée par le tir d’un policier leur permet alors de découvrir la position des policiers. Leurs morts sont en l’occurrence montrées en durée de temps normale, très rapide, leur importance s’en trouvant fortement diminuée.

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La fin du film dévoile Rama, sortant de l’immeuble avec Wahyu et un autre policier, protégés par son frère. Les objectifs du protagoniste sont donc en partie atteints puisqu’il a survécu à l’assaut, il peut en effet rejoindre sa femme. Le chef de gang a été tué par Wahyu et il n’est donc plus dangereux. Par contre, Rama n’est pas parvenu à ramener son frère, comme il l’avait promis à leur père. Il lui dit qu’il reste, tout comme lui, dans son monde, puisque cela « leur convient ». La porte se referme alors entre les deux frères, comme pour souligner le fossé existant entre eux.

Thomas Guiot