Amama ou l’histoire d’un arbre (Festival du cinéma Méditerranéen)

Amama

Ou l’histoire d’un arbre

Festival du cinéma Méditerranéen

Une des anciennes coutumes villageoises rurales basques allégorise la figure de l’arbre, emblème du chemin que l’être parcourt sur terre. Planté lors de la naissance de la personne dont il porte le nom, et coupé lors de sa mort pour le contenir sous forme de tombeau, l’arbre dépasse les symboles de la progéniture et de l’attachement aux racines pour devenir compagnon de la vie humaine. La tradition instaurée oblige aussi à passer l’héritage à un seul enfant. Pour choisir, l’ascendant peint en rouge l’arbre du courageux, en noir celui de l’odieux et en blanc celui du paresseux.

C’est dans cet esprit que débute Amama, le film d’Asier Altuna présenté au Festival Méditerranéen de Bruxelles en compétition officielle. Déjà sélectionné au festival de San Sebastien, le long métrage retrace la vie d’une famille qui vit dans ces habitudes basques : la grand-mère Amama qui observe le reste dans un mutisme complet ; le père, homme de terre qui travaille dans sa ferme ; la mère qui aide son mari sans ne jamais rien dire ; leur enfant « paresseux », marié et fondateur d’une famille qui vit ailleurs ; le « courageux » qui décide en début de film de quitter la ferme ; et Amaia, la « méchante » artiste qui ose contredire son père et prononcer la vérité telle qu’elle. L’histoire du film se concentre surtout sur la relation entre Amaia et son père, et le reste des personnages sont accessoires.

Le début du film sonne faux par rapport au langage cinématographique qu’Asier Altuna tient dans le reste d’Amama : la voix-over introductrice de la situation et des coutumes de cette famille, sur des plans hyperesthétisés de la grand-mère peignant les arbres, va à l’encontre des scènes quotidiennes qui se suivent. Ces dernières accordent entièrement la place aux personnages afin qu’ils vivent dans la liberté du cadre et qu’ils évoluent dans la lenteur du rythme.

Amama souffre aussi d’un problème de rythme. Outre le fait que le film semble finir plusieurs fois pour recommencer, il sonne creux dans sa quasi-globalité, sans vraie âme, celle qu’il prétend ou qu’il avait plutôt l’intention d’avoir. Pourtant, certains moments – malheureusement rares et pas suffisants pour sauver l’entièreté de l’unité scénaristique – restent captivants et atteignent leur but émotionnel, comme quand le père tue le chien, quand il coupe l’arbre de sa fille, quand elle peint en couleurs les arbres de la famille, quand le père enlève la tronçonneuse de l’arbre et que du sang en coule (peinture rouge laissée par Amaia), quand il cherche le lit à sa fille en ville, etc.

Le film exploite la possibilité de concrétiser le conflit interne d’un personnage et de remplacer son manque de communication par la notion du travail. Le père de famille, vieil homme de la terre aux valeurs masculines primaires, ne sait pas communiquer avec sa famille ni exprimer verbalement les différentes oppositions qu’il éprouve. Son conflit intérieur s’exprime alors avec son travail dans la terre. C’est avec ce travail qu’il essaie de s’excuser de sa fille, en transformant son arbre coupé en lit.

Malgré le typage du physique des acteurs qui leur permet la possibilité d’une interprétation minimaliste, le jeu reste plat et excessif. La volonté de créer un personnage de grand-mère qui ne parle pas et au visage impénétrable diminue la valeur qui lui est accordée, alors qu’elle est supposée être au centre de l’œuvre. Iraia Elias (dans le rôle principal d’Amaia) échappe heureusement au jeu unidimensionnel pour donner vie à son personnage et à tout ce qu’il touche.

Les vidéos et les photos sur lesquels travaille Amaia constituent un matériel intéressant qui tient le propos du film. Surimpressions et expérimentations sur la rencontre des visages féminins de la famille (Amaia, sa mère et sa grand-mère), fusion de la notion des l’arbre (racines et embranchement) et de celle de la main (témoin du travail et lignes de la destinée), la multitude des faces d’Amama, etc. Exploité d’une très belle façon lors des funérailles finales, l’art de la protagoniste parvient à affronter le passé et le futur en les associant, de façon beaucoup plus éloquente que le reste de la narration du film ne le fait. Insérées en montage alterné tout au long du film, ces images ne semblent pas bien exploitées en parallèle avec la narration, et atténuent l’effet hypnotisant de leur projection dans les obsèques à la fin du film.

Amama n’exploite pas la totalité du potentiel dont il dispose, au niveau des acteurs dont le physique promet plus qu’il ne donne, du décor qui s’autosuffit  sans besoin d’hyperesthétisation de l’image, etc. Les intentions d’Altuna qui se manifestent dans la métaphore et la métonymie ne se réalisent pas, validant qu’un film ne peut pas se limiter au symbolisme et à l’esthétique pour figurer l’émotion. Reste cette belle image de l’arbre : une graine à la naissance, systématisation et étiquetage, blessure et coupure, art et expression, un lit pour dormir, un tombeau pour mourir.

Patrick Tass

Titre : Amama

Réalisation : Asier Altuna

Interprétation : Kandido Uranga, Iraia Elias, Klara Badiola, Ander Lipus, Amparo Badiola, Manu Uranga, Nagore Aranburu

Genre : Drame