Je suis un soldat

Je suis un soldat

Lorsque l’on dépeint le quotidien terne et monotone des classes populaires, il est de convenance de prendre soit un point de vue général soit un plus particulier. Dans le premier cas, la classe éclipse l’individu et le traitement des personnages esquisse un paysage politique autour de rites, de dominations, de déceptions, pour en faire ressortir les forces internes et externes qui sous-tendent le champ social. En revanche, le second cas s’attarde plutôt sur les destinations individuelles, où les personnages servent de partie pour le tout, leurs corps deviennent la toile sur laquelle se peignent les vicissitudes, mais aussi les réjouissances, du réel.

Dans cette perspective, Je suis un soldat semble manquer de précision. Premier long-métrage du réalisateur (Laurent Larivière), le film relate l’histoire de Sandrine (Louise Bourgoin), une jeune femme forcée à retourner chez sa mère à cause de problèmes financiers. Elle est embauchée par son oncle, Henri, (Jean-Hugues Anglade), qui gère un chenil sur la frontière franco-belge. Sans grande surprise, Henri s’avère être un trafiquant véreux, achetant et revendant ses chiens au poids. Sous les yeux de Sandrine, c’est toute la structure d’un marché noir qui sort de l’ombre. Sans vergogne, son oncle fabrique de faux carnets de vaccination, refourgue des bêtes parfois malades et touche une petite fortune de cette lamentable entreprise.

Si Je suis un soldat annonce un scénario prometteur (la relation de Sandrine avec sa famille, l’argent comme unique moyen de subsistance ou le traitement des bêtes par Henri par exemple), il tient plutôt ses promesses dans la forme. Le récit peut sembler convenu, maladroit, certaines scènes inutiles ou peu subtiles, mais ce traitement grossier trouve sa rédemption dans une image pleine d’humilité. On n’abordera pas l’utilisation trop facile du champ-contrechamp là où une homogénéité de l’espace entre les acteurs eut été souhaitable. Miséricorde cependant atteinte lorsque les personnages se perdent dans le noir de la nuit, comme happés par des éléments qui leur sont supérieurs. L’originalité, mais aussi l’hallucinante simplicité, d’un tel traitement esthétique, utilisé avec une parcimonie honorable et juste, permet à Laurent Larivière d’échapper à la dichotomie qui est de convenance lorsque l’on traite de sujets sociaux au cinéma, opposition qui produit des formes usées par le stéréotype. Un long plan parcourant les visages de cette petite famille misérable sur la chanson Retiens la nuit de Johnny Hallyday sauve le film du flou de son existence. En indexant tous les membres de cette maisonnée sur la vieille chanson de l’idole des jeunes, c’est toute une culture qui se montre dans sa nudité, dans sa franchise. Le réalisateur montre qu’il est possible pour ces gens d’avoir des icônes propres qui ne s’inféodent pas nécessairement à une aliénation, à l’abandon d’un droit naturel.

Ce qui gêne cependant, c’est le trouble quant au choix de l’angle adopté par l’auteur. Je suis un soldat peine à trouver son centre de gravité et trébuche à plusieurs reprises. Il semblerait que cette perte d’équilibre trouve sa source dans une imprécision quant aux motifs du film. L’intention formelle est là, mais le récit ne suit pas. Un arrêt sur la figure du chien hargneux aurait été une source difficilement épuisable d’analyse, celle d’une nature impossible à domestiquer, d’une sauvagerie inhérente à l’homme vue dans le miroir de la bête. Cette séquence est cependant le crépuscule du film, et la nuit revient, longue d’explications et de dénouements. Les personnages qui se perdent dans l’obscurité sont l’image d’un film cherchant son chemin dans la brume, butant sur des cafouillages qui, on l’espère, seront moins nombreux la prochaine fois.

Thibauld Menke

Titre : Je suis un soldat

Réalisation : Laurent Larivière

Interprétation : Louise Bourgoin, Jean-Hugues Anglade

Genre : Drame

Date de sortie : 25 novembre 2015