Spectre : Hier ne meurt jamais

Spectre de Sam Mendes :

Hier ne meurt jamais

A sa sortie en 2006, Casino Royale avait réussi l’exploit de moderniser la franchise James Bond, dont les itérations précédentes avaient fortement laissé à désirer. En revenant aux origines du personnage, le film avait fait le choix audacieux d’abandonner certains des gimmicks les plus datés de la série et par la même occasion, d’atténuer son sexisme. En acceptant de se redéfinir, la franchise semblait s’ouvrir à de nouvelles directions. Neuf années se sont écoulées et Casino Royale fait maintenant figure d’exception dans une série de films bloquée dans le passé. Spectre, sorti la semaine dernière, vient confirmer cette impression.

Réalisé par Sam Mendes, à qui l’on doit également le précédent volet (Skyfall), Spectre glorifie une certaine idée de James Bond qui correspond surtout à ce que le personnage a pu être dans les années 60 et 70. Puisant régulièrement dans la mythologie de la franchise, ce nouvel épisode s’impose comme un film résolument tourné vers le passé, dans ses valeurs comme dans son imagerie. Misant trop souvent sur une nostalgie mal placée, Spectre cherche à susciter un enthousiasme qui dépend entièrement de votre affection pour les James Bond de Sean Connery et de Roger Moore auxquels il emprunte notamment personnages, objets cultes et sens de l’humour.

Dans sa volonté d’affirmer haut et fort que James Bond (et ce qu’il représente) a encore sa place dans notre époque, le film revient régulièrement dans les bureaux du MI6 dans lesquels tout est mis en place pour maintenir le programme double zéro, accusé d’obsolescence. C’est dans ce contexte réminiscent de Skyfall que James Bond se lance à la poursuite de l’organisation secrète qui donne son nom au film :  SPECTRE. Voyageant aux quatre coins du monde, Bond passe de Rome aux Alpes autrichiennes en passant par Tanger, enchaînant les courses-poursuites dans des décors superbes. Si les scènes d’action sont réalisées de main de maître par Mendes, le film peine à trouver un vrai sentiment d’urgence. Les séquences se suivent, mais semblent déconnectées les unes des autres, maintenues ensemble par des liens narratifs ténus et insuffisants.

Passé sa première heure, Spectre s’oriente vers une veine plus romantique, dans la lignée d’Au Service secret de Sa Majesté (1969), Tuer n’est pas jouer (1987) ou Casino Royale. Malheureusement, le film ne parvient jamais à rendre cette romance crédible ou émouvante et malgré leurs efforts, Léa Seydoux et Daniel Craig peinent à donner de l’authenticité à une relation paresseusement écrite. L’excellent casting du film est en grande partie gâché dans des rôles caricaturaux et peu élaborés. Parmi eux, Christoph Waltz interprète l’homme derrière SPECTRE, dans un rôle de méchant peu inspiré, et offre une performance cabotine qui souffre d’une inévitable comparaison avec Inglourious Basterds (2009). Si le talent de Waltz pour la politesse menaçante fonctionne parfaitement chez Tarantino, il est ici galvaudé par un script qui lui donne de fastidieux monologues plutôt qu’une personnalité marquante. Son personnage est une des victimes d’un scénario qui copie la structure et les événements d’autres films de la série, mais ne parvient jamais à les faire fonctionner.

Dans un film épris par les stéréotypes, les personnages féminins sont sans surprise relégués aux traditionnels standards des James Bond Girls. Dans le rôle d’une veuve menacée de mort, Monica Belluci fait une brève apparition, le temps d’enterrer son mari, d’être bénie des élans sexuels de Bond dans une scène rétrograde et puis de disparaître complètement du film. Quant à Léa Seydoux, elle interprète un personnage un peu plus construit, mais que le film enferme trop souvent dans un rôle de demoiselle en détresse. Spectre est moins cruel avec la gent féminine que Skyfall, mais son attitude n’en est pas pour autant progressiste.

Si le scénario est souvent en pilotage automatique, plusieurs idées excitantes laissent imaginer un film thématiquement plus riche. Dans une tentative de contrebalancer son passéisme, Spectre se questionne sur notre monde post-Edward Snowden au travers de certains dialogues portant sur l’usage des drones ou sur le rôle de l’information virtuelle comme instrument de pouvoir politique. Le film donne à ces réflexions une incidence sur le récit, mais échoue à leur donner un aboutissement pertinent.

Cette incapacité à arriver à ses fins est symptomatique d’un film rempli de promesses non tenues, à l’image de sa première (et peut-être meilleure) scène. Débutant par un impressionant plan-séquence, elle place Bond dans les rues de Mexico alors que le Jour des Morts bat son plein. A la poursuite d’un terroriste, le visage couvert d’un masque de mort, Bond est presque indiscernable de l’homme qu’il pourchasse, laissant au spectateur un sentiment de trouble. Macabre, étrange et grandiloquente, la séquence annonce un film paranoïaque et riche en enjeux, qu’on ne verra jamais.

La séquence, et le film, bénéficient certainement de l’excellente mise en scène de Sam Mendes, qui parvient souvent à faire oublier les principaux défauts scénaristiques. Soutenu par la superbe photographie du chef opérateur Hoyte van Hoytema, Mendes donne à Spectre une identité visuelle marquante. Si le film souffre de suivre trop attentivement les codes de la franchise James Bond, son esthétique lui permet de s’en différencier. À la fois contemplative et mouvementée, la réalisation de Mendes donne un cachet à chaque scène, utilisant toutes les opportunités du scénario pour créer des ambiance mémorables.

Spectre est un film hanté par le James Bond d’un autre temps, cherchant désespérément à invoquer un passé qui n’a pas vraiment besoin d’être réanimé. En cherchant sa force dans les autres films de la série, le long-métrage échoue à proposer un film d’action fonctionnel et laisse craindre le pire pour l’avenir d’une série qui a besoin, plus que jamais, de se remettre en cause.

Adrien Corbeel

Titre : Spectre

Réalisateur : Sam Mendes

Interprétation : Daniel Craig, Léa Seydoux, Christoph Waltz, Monica Belluci

Genre : Action, Espionnage

Date de sortie : 4/11/2015