Cinéma d’animation: Le son dans les Cartoons muets américains des années 1920 (dossier thématique)

Le son dans les Cartoons muets américains des années 1920

Le paradoxe d’un cinéma sonore à l’âge muet

Le cartoon muet est-il sonore ?

Le cinéma est un spectacle audio-visuel. Même si le langage courant veut que l’on dise voir un film plutôt que l’entendre, le son joue un rôle prépondérant dans l’histoire du cinéma. Car si on consacre [erronément] à l’image une valeur supérieure, le son n’en est pas moins important. Un monde insonore n’existe pas. Pourtant au cinéma ont existé et existent encore de très nombreux films dits « muets », c’est-à-dire « sans sons ». C’est le cas des cartoons américains des années 1920. Puisque le son au cinéma n’apparaît, à proprement parler, que dès 1927 avec le film The Jazz Singer d’Alan Crosland ce que l’on considère comme le premier film « parlant » (premier film où l’on entend parler un personnage) pour une transition achevée en 1930 où le cinéma passe de l’âge muet à l’âge sonore au niveau international. À noter que cette première période du cinéma n’a été qualifiée de « muette » que lorsque la seconde l’a été de « parlante ».

Le cinéma d’animation, et plus précisément les cartoons américains des années 1920 n’échappent donc pas à la règle. Pourtant le son y a toujours existé de manière palpable. Le cinéma n’a en effet pas attendu que le son puisse être techniquement inscrit sur la pellicule et diffusé en même temps que la projection de l’image pour le suggérer. Paradoxalement, le cinéma a toujours été immergé de « sons », c’est-à-dire dans un mélange entre cinéma à la fois muet et sonore qui existe de manière double. D’un côté, via un son lié aux conditions (très bruyantes) de vision autour du film, et de l’autre, via un son directement lié à ce qu’il se passe dans le film.

Il s’agit de voir comment le cinéma muet d’animation a pu, d’une part, combler le « silence » de ses films de manière visuelle et évocatrice, et d’autre part, atténuer le « son » des salles de cinéma et de leurs conditions de projections. Car le cinéma muet va doucement se diriger vers un cinéma parlant et sonore, tandis que la salle de cinéma va passer d’un espace bruyant à un espace mieux isolé et pratiquement plongé dans le silence obscur, conséquence d’une nouvelle manière de le concevoir et de le recevoir.

Les films muets utilisent le visuel pour signifier ou suggérer de manière subliminale le son dans le film (que ce soit par des intertitres, des personnages qui tendent l’oreille, des lèvres qui bougent, des instruments de musique, etc.). Ils vont aussi utiliser les sons autour du film, comme l’accompagnement musical, un bruiteur ou un bonimenteur, qui agissaient en direct pour donner vie à la projection. Ensuite, les films vont devenir sonores, et le bonimenteur, le bruiteur, l’accompagnement musical en direct, etc., n’auront plus lieu d’exister. De surcroît, les bruits dans la salle, du public très assourdissant, du projecteur et surtout des lieux – car le cinéma est par essence un spectacle de foire, de music-hall, de café, etc., vont aussi disparaître pour laisser place à des salles insonorisées, un projecteur silencieux et un public à qui l’on demande le silence.

Transition sonore : dans et autour de la musique, de la voix et du bruit

L’intérêt d’étudier le cinéma d’animation muet des années 1920 est qu’il se trouve à la charnière de deux périodes : l’âge du cinéma muet et l’âge du cinéma sonore. Nous allons donc étudier comment les cartoons sont un exemple intéressant du son dans et autour des films. Pour cela, nous distinguons le son en trois aspects génériques : le bruit, la musique et la voix. Cette distinction nous permet d’établir des marques plus précises quant à ce que recouvre la notion de « son ». Il est en effet assez complexe de définir et caractériser les sons tels que la musique, le bruit et la voix. Par exemple, quelle est la définition d’une chanson ? Est-ce une parole chantée ou une musique parlée ? La frontière est mince et trouble entre les différents concepts. C’est pourquoi nous établissons une clarification des termes, tout en sachant que ceux-ci ne doivent pas être interprétés de manière restrictive.

  • La voix est l’expression vocale humaine. La parole est la voix qui énonce du texte.
  • La musique est la combinaison harmonieuse, l’organisation volontaire de sons, agréables à entendre.
  • Le bruit est un ensemble de son sans harmonie. Le bruit est un son désagréable à entendre.
  • La chanson est une voix musicale. Parfois a capela, parfois accompagnée de sons musicaux.

Ces définitions, déterminées et considérées à l’heure actuelle, s’appliquent rétroactivement aux années 1920 pour mieux en décrire ce qu’était le “son”.

Emile Reynaud : pionnier visuel et sonore

Ce qui nous intéresse désormais, après avoir signalé que le cinéma n’est pas dénué de « sons », c’est de constater comment il a été pensé, suggéré et mis en place dans le cinéma d’animation durant sa période muette. Le cinéma d’animation a été, avant même l’invention institutionnelle du cinéma par les frères Lumière le 28 décembre 1895, sujet à l’utilisation du son. Emile Reynaud (1844-1918) fut, en effet, un pionnier du cinéma d’animation et un précurseur dans l’utilisation du son. Si les films d’animation de Reynaud, tels que Pauvre Pierrot (1891) ou Autour d’une cabine (1893), ne peuvent pas encore être qualifiés de cartoons, le son y couvre déjà une place prépondérante. Le génie de Reynaud tient dans le fait qu’il a d’emblée associé ses productions visuelles avec le son. Plus particulièrement avec des musiques et des chansons composées par Gustave Paulin (1839-1903). En travaillant en binôme, ils parviennent à synchroniser l’image et le son.

Cet exemple est paradigmatique de toute l’étude et la recherche dans le cinéma pour le son et l’image, puisque Reynaud propose à ses spectateurs de la musique et de la parole à travers des chansons, mais aussi un système de bruitage synchronisé avec la bande de dessins. Ainsi, Reynaud dessine et réalise ses films à partir de pantomimes qu’il pense, dès le début, en termes visuel et sonore.

Le bruit est déjà proposé aux spectateurs via un dispositif de bruitage placé derrière l’écran de projection. Surtout, le bruit est synchronisé par rapport aux images. Reynaud offre un son en lien direct avec et dans le film, de sorte que chaque bruit est associé à un son dans le film. Mais ce son existe parmi bien d’autres bruits dits « parasites » et par conséquent autour du film. La salle étant généralement comble, le chahut des spectateurs couvrait vraisemblablement le son proposé par le dispositif sonore, insuffisamment puissant à l’époque pour permettre à tous de l’entendre. Le public se donnait en effet cœur joie à commenter, discuter, crier, réagir au spectacle cinématographique auquel il assistait.

La musique est présente en tant que musique d’accompagnement, c’est-à-dire qu’elle est liée à ce qu’il y a autour du film. Paulin, le compositeur, jouait également du piano en direct. Cette musique existe aussi dans le film puisque le personnage joue d’un instrument à corde tandis qu’il pousse la chansonnette en dessous du balcon de son amie Colombine .

Fig. 1 - Pauvre Pierrot - Mandoline

Dès lors, l’accompagnement musical devient l’illustration externe de la musique jouée par Pierrot à l’intérieur de l’histoire. La musique autour du film offre une interprétation des émotions décrites à l’image en lien avec la musique jouée dans le film. Ensuite, cette relation importante entre image et musique s’exprime aussi avec la chanson.

La chanson est également écrite par Paulin qui l’interprète en direct dans la salle. Les paroles des chansons sont pensées à la fois dans et autour du film puisque cette fois, Pierrot, le personnage pantomime, chante à l’image et c’est Paulin, par répercussion, qui en donne l’interprétation vocale aux spectateurs. Les dessins de Reynaud avaient cette particularité d’avoir été réalisés de manière à se synchroniser avec la chanson, de telle sorte que la chanson suit non seulement les mouvements musicaux du film, mais accompagne aussi la voix par des mouvements de lèvres du personnage.

Finalement, le génie de l’animateur et réalisateur Emile Reynaud, associé à celui du compositeur Gaston Paulin, forme un exemple synthétique de comment le son joue un rôle important dans et autour du film. À la fois à travers des partitions musicales originales accompagnées en direct, des bruits produits par un dispositif complexe en lien avec le film et des chansons interprétées par un chanteur dans la salle, mais aussi par le personnage du film.

Avec l’apparition du cinéma d’Edison et des frères Lumières, l’animation passe au second plan. Les productions animées se font rares et la sonorisation autour des films de cette époque se fait de la même manière que pour les films muets contemporains, c’est-à-dire, sans forcément une grande originalité. Elles se sonorisent à grands coups de bruitages et d’accompagnements musicaux grossièrement rythmés.

Il faut attendre les années vingt pour que trois grands studios prennent la direction artistique de l’animation aux États-Unis : le studio des frères Fleischer ; celui de Pat Sullivan et d’Otto Messmer, créateurs de Félix le Chat ; et enfin, le studio de Walt Disney. Nous allons voir comment, petit à petit, le son dans le cinéma muet d’animation va être suggéré, travaillé et pensé, de manière à ce qu’à la fin de la décennie, il se fasse ressentir comme quelque chose de nécessaire dans et autour des films, malgré l’inexistence de la technique sonore.

Pat Sullivan et Otto Messmer

Le producteur, Pat Sullivan, et l’animateur, Otto Messmer, sont les créateurs du personnage de Félix le chat qui apparaît pour la première fois dans Feline Follies en 1919. Dans les différents épisodes qui mettent en scène l’animal animé, le son va être une composante à la fois narrative et comique.

Le premier épisode, Feline Follies, est déjà symptomatique de l’humour sonore dans le cartoon muet américain à venir. Ainsi, Félix espère séduire sa petite amie en lui déclamant son amour à travers un poème. Le dessin d’Otto Messmer propose un phylactère dans lequel le spectateur peut lire le poème en même temps que Félix le chante, car ses lèvres bougent .

Fig. 2 - Poème

Le dessin suggère la parole chantée de Félix tout en proposant sa lecture et donc de connaître ce qui se dit. En plus du message, le spectateur peut estimer l’intonation et la force du son, car les voisins se plaignent du bruit occasionné par le félin.

Fig. 3 - Voisins se plaignent

Plus tard dans le cartoon, Félix réitère son charme envers sa douce compagne. C’est alors armé d’une guitare qu’il entame une sérénade qui fait danser son amie féline au rythme des petites notes de musiques qui se dessinent et sortent de l’instrument.

Fig. 4 - Guitare et danse féline

Après avoir suggéré le bruit et la parole dans leur cartoon par le dessin, Messmer et Sullivan réitèrent le procédé de perception subliminale de la musique alors accentuée par l’illustration de quelques notes volantes et la danse de la copine de Félix. Dès le premier épisode, le dessin animé de Félix s’érige en nouvel exemple de l’importance du son dans le cinéma d’animation muet. Même s’il s’agit, dans ce cas, plus d’une proposition sonore directement liée à ce qu’il se passe dans le film que de ce qu’il se passe autour du film. Ce dernier aspect n’étant vraisemblablement pas différent des conditions de projections précédentes et connues du cinéma d’animation. Il devait y avoir un musicien accompagnateur en live, un bruiteur, un bonimenteur, le vacarme du public, etc.

La perception subliminale de la musique tient aussi une place prépondérante dans la série de Félix le chat. C’est par exemple le cas dans l’épisode Felix wins out où Félix joue de la flûte pour faire danser une dame corpulente afin qu’elle devienne plus mince.

 

Fig. 6 - Fat lady Fig. 6 - Skinny lady

Mais aussi dans l’épisode Felix Revolts, où le chat se transforme en chef d’orchestre. Il dirige alors un ensemble de chats de gouttière qui s’égosillent chacun à miauler, suggérant de la sorte une symphonie musicale à l’image. Les chats chantent, leurs « paroles » sont écrites à l’image (me-o-ow) et l’intervention de Félix qui dirige le tout suggère une mélodie harmonieuse d’un véritable orchestre.

Fig. 7 - Felix Orchestre de chats

Mais à nouveau, les voisins se plaignent du vacarme. Le comique de la situation vient en effet de cette particularité qu’a le cinéma muet de suggérer au spectateur une idée du son qui reste tout de même entièrement libre d’interprétation. Ainsi, est évoquée au spectateur, une musique avec un orchestre agréable à entendre, alors que les voisins perçoivent cela comme un bruit dérangeant non harmonieux. Le cartoon s’amuse de la distinction que nous avons établie plus tôt entre les différents concepts, tels que musique et bruit, en se posant la question de la perception sonore. Il faut toutefois souligner que vraisemblablement toutes les projections des Félix le chat étaient accompagnées de musique en direct, improvisée ou écrite, c’est-à-dire qu’il y avait du son pensé autour du film. Ce qui réduit quelque peu l’imagination du spectateur quant aux musiques et aux bruits évoqués ou suggérés par le dessin, puisqu’il devait s’en tenir à ce que le pianiste proposait.

Les Frères Fleischer

Les frères Fleischer vont également investir la veine de la suggestion sonore dans les cartoons. Ils vont même aller jusqu’à imposer la musique et la parole évoquées dans le dessin animé puisqu’il vont créer un karaoké à partir d’une série de cartoons muets intitulée Song Car-Tunes. Idée assez paradoxale, mais qui prend tout son sens lorsque l’on pense le son au cinéma en terme de lien dans et autour du film. Le cartoon est conçu pour que le public puisse accompagner la projection par des chansons populaires. Dans le film, sont représentés les paroles de la chanson et dont un « follow the bouncing ball » (suivez le rythme de la balle) qui accompagne le rythme des paroles affichées à l’écran syllabe après syllabe, à la manière d’un karaoké actuel.

Fig. 8 - Song Car-tunes Fig. 9 - Song Car-tunes

Autour du film, s’agissant de musiques populaires, les spectateurs peuvent facilement reconnaître la mélodie de la chanson et par conséquent interpréter les paroles en synchronisation avec l’image. Il y avait sans doute également un ou plusieurs musiciens dans les salles pour accompagner les chants et paroles. Par ce concept facilement généré à travers le dessin animé, le son est directement lié et synchronisé dans et autour du film, par une suggestion visuelle et sonore efficace, et une participation accrue d’un public mélomane.

Walt Disney

Walt Disney, encore inconnu du grand public, va alors vivre ce passage charnière dans l’Histoire du cinéma. Profondément marqués par le film de Crosland, Walt Disney et son associé Ub Iwerks vont s’atteler à la réalisation d’un dessin animé entièrement sonorisé. Travaillant depuis quelque temps dans le cinéma d’animation, ils avaient déjà réalisé de nombreux cartoons qui se feront connaître rétrospectivement. Ce qui les intéresse désormais c’est le son associé à l’image. Pour eux, les deux éléments cinématographiques, audio et visuel, doivent coexister. Après plusieurs tentatives échouées, ils font appel à un compositeur, Carl Stalling, que le jeune animateur Walt Disney avait rencontré alors qu’il était organiste dans une salle de cinéma. En 1928, Walt Disney demande à Stalling de composer et d’enregistrer la musique originale de leur prochain cartoon intitulé Steamboat Willie. L’intérêt de Walt Disney est de pouvoir, puisque c’est technologiquement possible, inscrire le son avec la pellicule-image du film. Faire en sorte que les deux soient associés dans le contenu du film, mais aussi techniquement sur le film-pellicule.

Dans ce cartoon, Mickey travaille sur un bateau de transport de marchandises pour un gros chat noir capitaine du navire, à l’air redoutable. Un personnage qui inspirera celui de Pat Hibulaire, adversaire attitré de la petite souris aux grandes oreilles.

Avant même les premiers dessins, la musique est présente au générique d’ouverture. Cette musique externe (ou autour du film), pour l’instant non perceptible dans le film, va diriger le cartoon tant narrativement que visuellement. Le court-métrage commence sur une image du bateau voguant sur l’eau. La musique enregistrée grâce au procédé du Cinephone est ponctuée de bruits. Ce sont les sons des deux cheminées principales et des trois cheminées secondaires du navire qui, en alternance, déversent leurs fumées noires ou grises dans le ciel .

Fig. 10 - Fumée cheminées

Les images de ces nuages qui s’évaporent sont parfaitement ponctuées par le bruit synchrone aux mouvements dans l’image et à la musique autour du film. Ensuite, Mickey apparaît dans l’histoire en train de tenir la barre en sifflotant.

Fig. 11 - Mickey sifflotement

Son sifflotement est aussi adapté au rythme de la musique et des mouvements du personnage (de ses lèvres et de sa danse). Chaque objet manipulé à l’image par Mickey est synchronisé avec un son. Puis, il y a les “voix” des personnages. Ce ne sont pas des paroles audibles, mais des voix caractérisées (fluette pour Mickey et grave pour son patron). En moins d’une minute, nous avons déjà des sons synchronisés avec l’image, tels que des bruits et des voix, tandis que la musique fait son apparition un peu plus tard.

C’est lorsque Mickey embarque Minnie sur le bateau en pleine marche à l’aide d’une grue que la musique va faire son apparition et structurer le cartoon. Minnie a emporté avec elle sa guitare et quelques partitions musicales parmi lesquelles le spectateur peut reconnaître et lire le titre « Turkey in the straw », une chanson traditionnelle américaine du 19ème siècle. Seulement, une chèvre affamée va dévorer les partitions et la guitare.

Fig. 12 - Turkey in the Straw - biquette

Ne pouvant pas empêcher la chèvre de tout manger, Mickey a l’idée de transformer l’animal en phonographe. Il ouvre alors la gueule de la chèvre à la manière d’un pavillon et Minnie déploie la queue du ruminant en manivelle. Minnie actionne la bique qui reproduit un son musical : « Turkey in the straw ».

Fig. 13 - Biquette phonogramme

À partir de ce moment-là, la musique qui était encore considérée comme un son autour du film devient un son dans le film. Le spectateur peut enfin voir la source du son et entendre le son. Grande nouveauté qui met fin à l’âge muet du cinéma d’animation pour se joindre, comme son homologue de la prise de vue réelle, à l’âge sonore. Une fois la musique localisée à l’image par le spectateur et également perçue par Mickey dans le cartoon, ce dernier peut utiliser toutes sortes d’instruments pour faire vivre la musique et les sons aux spectateurs du film. Mickey joue du xylophone sur la dentition d’une vache, de la cornemuse avec une oie, de l’accordéon avec un cochon, etc.

Fig. 14 - Vache xylophone Fig. 15 - Oie cornemuse

Fig. 16 - cochon accordéon

Chaque son est personnalisé selon l’instrument animalier utilisé et surtout chaque son est synchronisé avec l’image, les mouvements du personnage-musicien, et avec la musique du cartoon.

Avec Steamboat Willie, Walt Disney initie un cinéma d’animation pensé avec le son. Au point qu’il proposera, quelques années plus tard en collaboration avec le compositeur Carl W. Stalling, une série de cartoons regroupés sous le titre de Silly Symphonies (1929-1939) où il s’agit, non plus de penser l’image et d’y ajouter le son, mais de penser l’image à partir du son. Cette méthode, Walt Disney la concrétisera dès son premier long-métrage, Blanche Neige et les septs nains (1937), et ensuite avec Fantasia (1940), où le son gouverne quasi globalement l’image. Ce motif est ensuite développé dans l’ensemble des productions disneyiennes, et fait encore partie de la politique actuelle du studio d’animation.

Le cartoon muet est sonore !

Finalement, nous avons pu constater que le cartoon, inscrit dans le cinéma muet d’animation des années 1920, est une illustration pertinente de cette transition historique entre le cinéma dit « muet » et le cinéma dit « parlant » ou « sonore ». Il nous a fallu pour cela concevoir différents types de sons tels que la musique, la voix et le bruit afin de mieux les reconnaître et les différencier. Ensuite, nous avons essayé de démontrer que les sons dans le cinéma d’animation muet existent de manière double. D’une part, en relation directe avec le contenu et l’image du cartoon, c’est-à-dire avec et dans le film, et d’autre part, en relation avec les conditions de projections et de visionnements externes formées autour du film. Les sons étaient suggérés, évoqués à l’image, mais ils étaient aussi proposés, interprétés, parfois même parasités par les bruits, les musiques, les commentaires, les voix, du public ou des spécialistes (musicien, bonimenteur, bruiteur, projecteur, etc.) qui participaient aux diffusions des films.

Le cinéma « sonore » a donc toujours existé, et il est par ailleurs erroné de dire que le cinéma était « muet ». Il serait en effet plus juste de dire qu’il était « sourd », c’est-à-dire que l’on ne pouvait pas l’entendre. Le son et l’image ont toujours coexisté, seule l’Histoire du cinéma consacre, par période, une importance différente et déterminée entre les deux, mais qui n’a pas lieu d’être. Les cartoons muets américains des années 1920 en sont l’illustration la plus pure, à partir des origines françaises du dessin animé avec Emile Reynaud, jusqu’aux studios américains des frères Fleischer, de Pat Sullivan et de Walt Disney, car ils étaient sonores.

Bertrand Willems & Kévin Giraud

Bibliogaphie

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