Suffragette de Sarah Gavron

Suffragette de Sarah Gavron

Toutes aux urnes

Londres, 1912. A la veille de la première guerre mondiale, les femmes anglaises travaillent, élèvent leurs enfants et obéissent à leur mari. Mais en 1912, les femmes anglaises sont payées moitié moins que les hommes, n’ont aucun droit sur la chair de leur chair et sont jugées incapables d’une once d’intelligence. Elles n’ont pas, il n’est pas risqué de le dire, une grande liberté ni même une lueur d’indépendance.

Pourtant, dans ce monde qui leur est hostile à bien des égards et dans lequel leur moindre geste est surveillé, il y a un droit qui pourrait bien être le point de départ d’une nouvelle vie : celui de voter. C’est ce que va découvrir Maud, personnage principal du film de Sarah Gavron, Suffragette. Jeune femme mariée et mère d’un petit garçon, Maud mène la vie pauvre et asservie d’une blanchisseuse, jusqu’au jour où elle rejoint, presque contre son gré le mouvement des « suffragettes ». Un surnom donné aux membres de l’union sociale et politique féminine, mouvement créé en 1903 par Emmeline Pankhurts et qui mena un combat acharné pour le droit de vote des femmes.

La première partie du film est bien faite dans la volonté de montrer la conversion lente et presque subie d’une femme passive en une femme active. Maud, jouée tout en finesse et avec beaucoup de sensibilité par Carey Mulligan, est loin d’être une rebelle. C’est un combat qui ne s’adresse pas uniquement aux révolutionnaires, mais aussi à tout ceux qui sont concernés (ici, les femmes). C’est entre autre pour cela que la transformation de Maud en “Suffragette” est une transformation subie, obligée, entraînée par tout un mouvement qui la précède, la soulève et auquel elle ne peut qu’adhérer. Dans des scènes, pas toujours subtiles mais efficaces, Maud se retrouve confrontée à la nécessité d’agir. Avec une caméra bienveillante qui ne le quitte jamais, le personnage évolue sous nos yeux. Son visage, tendre et doux dans les premiers plans, se durcit et se radicalise. Intéressant donc de voir dans quelles mesures, une lutte, un combat, même politique, est d’abord physique.

D’ailleurs le film dépasse la juste cause féministe pour montrer de manière générale la naissance de la révolte. Le groupe de femmes “ middle class” que l’on suit tout au long du film n’est pas le mieux placé pour agir efficacement. En contre-exemple, des femmes bourgeoises qui malgré leur plus grande force d’action, se révèlent plus frileuses et modérées que ces travailleuses acharnées. La révolte naît dans la misère, et plus Maud perd ce qui lui est cher, plus elle se radicalise. Un Homme qui n’a plus rien à perdre, a tout à gagner. Et c’est exactement ce qui meut le personnage principal. C’est dans cette dimension que le film trouve une justesse et un équilibre (menacé parfois par un manque de subtilité et un traitement de surface).

Une des grandes forces du film est la création d’un véritable chœur de femmes. Chacun à sa manière, les personnages féminins secondaires ajoutent une couleur au tableau sans jamais en briser l’harmonie: c’est ensemble que ce groupe, ce chœur, évolue. Chaque femme mène le combat différemment et s’engage d’une certaine manière. Les points de vues se confrontent, se choquent et montrent bien que la lutte peut naître au sein même du mouvement. Bien que brève, l’apparition de Meryl Streep dans la peau d’Emmeline Pankhurst fait basculer le film dans une réelle énergie de révolte.  La seconde moitié du film donne à voir Maud, déterminée cette fois à enfoncer la porte de la liberté jusqu’à la voir céder au prix même de la souffrance et du sacrifice, montrant par là qu’un combat, quel qu’il soit, n’est mené à bien, que lorsqu’il est mené jusqu’au bout.

Une belle énergie et une sincérité visible font de ce film un beau récit au féminin qui n’est pas sans rappeler The Magdalene Sisters de Peter Mullan (dans lequel jouait d’ailleurs Ann-Marie Duff, Suffragette au côté de Carey Mulligan) ou encore Une Affaire de Femmes de Claude Chabrol. Cette histoire, inspirée de faits réels, vient très à propos nous raconter un peu d’où l’on vient. Et pour tout cela, Suffragette remporte notre voix.

Mathilde Belin

Titre: Suffragette

Réalisation: Sarah Gavron

Interprétation: Carey Mulligan, Meryl Streep, Helena Bonham Carter, Ann-Marie Duff

Genre: Drame, Historique

Date de sortie: 11/11/2015