Cinéma d’animation – Cool World (dossier thématique)

Cool World (1992)

La guerre des mondes entre prises de vue réelle et animation

En 1992 Ralph Bakshi  sort Cool World  qui ressemble au plus ancien Qui veut la peau de Roger Rabbit ? de Robert Zemeckis (1988) tant par le procédé mêlant prises de vue réelles et animation que par le genre. Les deux longs-métrages usent des mêmes ingrédients : femme hyper sexualisée, note policière et un protagoniste désorienté. Celui de Bakshi peut toutefois être qualifié de version plus adulte, plus délibérément sex and crime.

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Retour au pitch : Jack Deebs (Gabriel Byrne) purge sa peine de prison après avoir tiré sur l’amant de sa femme surprise in fraganti. Derrière les barreaux, il crée une bande-dessinée du nom de Cool World inspirée par ses rêves et fantasmes dont la sulfureuse Holli Would (Kim Basinger). De retour dans la société, Jack est adulé par ses fans mais peine à se réintégrer. Hanté par Holli, il fuit « pour de vrai » vers le monde des dessinés. Ses allées et venues provoquent non seulement l’indignation de l’inspecteur Harris (Brad Pitt), autre « noïde » (humain), mais aussi une confusion grandissante auprès du dessinateur.

Cette confusion, le spectateur la partage. Ce dernier ne ressort pas indemne de la confrontation entre les deux mondes. Ainsi, tout au long du film il assiste à la construction et à la démolition d’un mythe qui est à la fois un stéréotype. Telle la « Chose » de Viktor Frankenstein, Holli semble être assemblée à partir d’attributs de diverses célébrités réelles ou imaginaires : Jean Harlow, Marilyn Monroe, Brigitte Bardot, Betty Boop, Jane Fonda alias Barbarella, sans oublier Barbie. Holli correspond à une fusion de toutes ces femmes cultes, à un monstre sacré universel. Lorsque la créature mute en noïde et qu’elle débarque à Las Vegas, l’adoration de son entourage se transforme en lassitude, voire même en gêne. Pour le spectateur plus particulièrement, elle n’est désormais plus qu’identifiée à l’actrice qui tient ce rôle, c’est-à-dire Kim Basinger. Lorsqu’elle rampe sur le piano ou qu’elle gare gauchement sa voiture devant le casino, Holli apparaît comme ce qui est coutume d’appeler blonde écervelée. Sa sauvagerie, son attitude sensuelle et dévergondée qui autrefois inspiraient l’adoration et le respect en font la risée dans le monde humain.  Après son passage au réel, le spectateur a l’impression que le fantasme cesse d’exister.

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Par ces passages de plus en plus fréquents entre l’univers des « dessinés » et des noïdes, le spectateur ressent un certain vertige. Le sentiment d’angoisse de Jack par rapport à son nouveau quotidien pousse ce dernier à se construire une « nouvelle cellule » à domicile. Le bureau et la chambre-à-coucher apparaissent alors comme les seules pièces vitales de l’ex-incarcéré. Par le cadrage serré et l’intimité qui en découle, le spectateur développe rapidement des symptômes claustrophobes. A l’opposé, Cool World le catapulte au sein d’un univers infini par ses autoroutes et ses tours interminables ou par des Cadillac élancées comme des mannequins. Le choc est d’autant plus important que la maison de Jack, sombre et aux teintes neutres contraste avec les couleurs criardes, néons, à l’esprit disco qu’abritent Cool World.

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Plus encore, le spectateur croit accéder à l’esprit torturé de Jack. Bien que Cool World s’avère une entité autonome, cet univers paraît en constante ébullition à l’image de l’imaginaire de son auteur auto-proclamé. Suite aux apparitions imprévisibles et incessantes de nouveaux personnages et d’épisodes autonomes illustrant le quotidien peu orthodoxe de Cool World, le spectateur est face à un véritable brainstorming visuel. L’introspection qui en découle dévoile alors le fruit du mind in trouble par une cité cartoon peuplée de créatures aux tendances violentes et perverses n’hésitant pas à user de leur urine comme arme dans le combat contre les forces de l’ordre. Même le petit lapin qui rappelle Panpan,  l’ami de Bambi dans le Disney du même nom (1942), se révèle être un hypocrite, avare et colérique.

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Face à ce monde trash et flashy même la ville de Las Vegas en pleine nuit fait songer à une bulle de coton sécurisée et surtout règlementée. Car Cool World, qui n’est autre qu’une énorme boîte de nuit, une caricature de la ville du plaisir et des casinos, manque cruellement de règles. Les seules qui existent sont en général bafouées par Holli et ses comparses.  Même la mort ne semble qu’un état passager le temps de refiler d’encre un personnage soi-disant exsangue ou que les morsures de pièces de monnaies animées se renferment d’un trait de feutre. Le décès dans le monde réel ne peut alors être que plus lourd d’impact sur le spectateur. Ainsi, Cool World apparaît comme un monde de tricherie généralisée.

Dans un sens, ce « disco hall » constitue une représentation de l’enfer moderne. Ce paradis apparent est moins le refuge souhaité, la cité des possibilités infinies qu’une nouvelle prison, un enferment au sein de diverses tentations. Ainsi,  les spectres dessinés qui hantent le ciel peuvent éventuellement renvoyer aux âmes de noïdes tombés et par ricochet aux ombres brumeuses résidant avec Hadès, le Roi des morts d’après la mythologie grecque. Ceci rejoint les propos du réalisateur qui affirme avoir voulu créer un monde cauchemardesque. Pour Deebs comme pour Harris, Cool World est le fruit d’un traumatisme : la trahison par l’être aimé pour l’un et la perte d’une proche pour l’autre.

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Par la confrontation des deux mondes, Bakshi met simultanément le spectateur face à ses envies, leur concrétisation et la frustration qui en résulte si bien que ce dernier souscrit volontairement à la mise en garde du savant fou. La brèche créée par la fameuse « Pointe » et son plombage par Jack fait office de boîte de Pandore submergeant le monde avec des démons qui sont l’incarnation de nos instincts et nos pulsions primaires.  Le retour à la situation initiale et à la normalité, celle d’une frontière entre noïdes et dessinés,  le refoulement de notre inconscient déclenche un soulagement auprès du protagoniste comme du spectateur qui retrouve son équilibre mental.

Malgré ou bien à cause de l’incrustation de cartoon, le spectateur ressent un malaise face à ce monde qui cesse très vite d’être comique pour tendre vers le délirant, l’inquiétant. Un peu à l’image de la psychanalyse de Freud, le maintien des frontières entre le « Ca » et le « Moi » lui semble une nécessité.

Mara Kupka